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Le blog de Michel Giliberti

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michel giliberti


Un-an-20001.jpg
Un an que mon baby blog est né. Un an déjà... et il faudrait avoir le moral ?
J'étais persuadé de l'avoir ouvert le 23 octobre, mais non, c'était le 3. Alors avec un peu de retard, je lui souhaite un bel anniversaire... Quatre trimestres de coups de coeur, de blues, de révoltes, d'humour, quatre petits carnets de papier chiffon empilés ...

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Dans ce premier roman paru en 2000 et en 2002 dans sa version intégrale, je raconte la descente aux enfers d'un homme qui vient d'assassiner son amant et se retrouve face à son cadavre toute une nuit, le temps d'un règlement de comptes posthume, le temps d'un huis clos où la folie balaie souvent la simple condition humaine.

Insight.jpgÀ ce moment de l'histoire, l'assassin, dans un état de délabrement intense entre l'alcool ingurgité et l'angoisse, devant son acte ignoble, commence à ne plus tout à fait distinguer le rêve de la rélaité et ne contrôle plus ses pulsions.

.../... Quelle sensation éprouve-t-on à embrasser un mort ? Une lueur de lucidité colle un sens interdit incandescent au fond de mon cerveau ramolli, mais la folie et l’alcool me donnent tous les feux verts.
N’est-ce après tout que la perversité qui me torture ou le fait que ce corps inerte soit encore pour quelques heures celui de l’homme que j’ai aimé ? Si ma bouche effleurait son front, on trouverait ça normal. Un simple geste d’affection. Mais non, moi, je veux sa langue contre la mienne. C’est horrible !… Comme pour la pizza que je lui enfoncée dans la gueule… Ça revient… Je me dégoûte… Mais qui est en mesure de me juger, bordel de merde ? À part moi-même… Je m’approche à nouveau… Près… si près. Je dois rêver. Il n’y a plus aucune possibilité de contenir mes gestes. Inexorablement, mes lèvres se rapprochent des siennes… Voilà, je force ses mâchoires à s’entrouvrir et ma langue explore le goût de la mort.
Je reste immobile.
Je crispe les paupières dans l’attente d'une engueulade de sa part, comme chaque fois que je commettais une bêtise, mais rien ne vient.

Il n’y a plus que de moi dont je doive avoir peur.
Alors, pour me prouver que je suis maître de la situation, je replonge ma langue dans sa bouche sans vie et ce délice sans nom fait bouillonner le sang dans mes veines et gangrène ma raison au point que je l’embrasse avec fougue et ardeur.  L’approche est extraordinaire… Sa salive froide a des relents de paradis obscurs et, sous l’encre de mes paupières, des flashs de lumière m’éblouissent. Je suis ignoble et je m’en moque car là, se trouvent mes seuls actes de bravoure.
Enfin, je me relève péniblement et plante mon front contre la vitre. Dehors, les piétons, les voitures… Paris ! Tout me paraît beaucoup plus mort que dans cette pièce. Je n’ai jamais vécu aussi intensément, jamais autant vibré. Thomas ! J’ai l’impression de naître, et je passe un doigt fébrile sur mes lèvres qui viennent de vivre quelque chose d’exceptionnel.../...

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Comme d'hab, quand l'inspiration déserte mes neurones, je fais appel à mes périodes plus fertiles... Voici donc un extrait de "Derrière les portes bleues", un de mes premiers romans où Jérémy, chanteur désanchanté et destroy, se retrouve au matin de sa première nuit d'amour avec Tarek, un  de ses fans, dans un petit hôtel de Tunisie, à Guengla, au bord de la mer... une nuit d'amour si imprévisible... une nuit d'amour à l'encontre de ses habitudes sexuelles et qui va bouleverser le cours de sa vie.
Tableau ayant servi la pochette du livre.
.../... Depuis plus d’une heure, Jérémie admire la barque frêle d’un pêcheur. Elle est plantée là, au milieu de la mer, irréelle.
Un regard à gauche, elle n’existe plus.
Un regard à droite… Pareil.
Mais elle est là, immobile ! Avec le clapotis de l’eau à contre-pied de l’immense terrasse blanchie à la chaux.
Derrière, la chambre, porte bleue entrouverte. Et sur le lit, allongé en chien de fusil, Tarek ! Son sommeil émouvant.
Lui, Jérémie, est devant, comme le capitaine d’un navire, face à l’horizon et à la mer si calme.
Un léger vent caresse sa peau encore vibrante de l’autre.
Il n’a pas pu s’endormir après…
Trop peur du réveil… Tout est si nouveau, si insolite. Il n’explique rien de son désir. Il ne le nomme pas.
Comment a-t-il pu dépasser la simple attirance qui, en soi, n’est pas exceptionnelle ? Qui a pu instiller au fil des jours un tel changement ?
Il a vécu la nuit la plus insensée, la plus subtile, la plus vraie à épouser le mot, le geste ! Et pourtant un vent de folie a balayé la plus élémentaire de ses convictions. Au-dessus du visage de Tarek, c’est la paix qu’il a rencontrée, et il s’en étonne. Les sourcils de Tarek, ses lèvres, son nez, chaque contour lui a paru si évident, comme à la fin d’un voyage, quand l’avion rencontre la terre et que, dans l’ancienne trace, le pied retrouve ses repères.
Il n’oubliera plus…
Aucun murmure, aucun gémissement ne l’a à ce point envoûté comme ceux de Tarek quand il s’est abandonné, ivre de vie, fragile et fort, offert à ses pulsions. Ses soupirs et ses râles ont été à l’image de ses phrases contractées, de ses mots en verlan, si beaux, si déroutants.
Actuel d’amour !
Non, il n’a su s’endormir après.
Tarek, lui, a sombré dans un sommeil sans nom… Repu, désarticulé.
Victorieux.
Et avant cette nuit, il y avait eu dans l’après-midi la plage des grottes près de Bizerte… Le varech têtu, enroulé autour des jambes, le sable curieux… La première fois.
Il y avait eu l’accord, sans précédent… Les mots dans l’oreille… Murmures d’hommes ! Et puis l’arrivée à l’hôtel de Guengla… Les regards complices du gardien, sa compréhension et, surtout, l’incroyable spectacle d’un hôtel vide, blanc, aux façades croulant sous les mauves bougainvilliers et dont les chambres, à l’ombre des eucalyptus géants, donnaient sur la mer turquoise. La mer qui s’épanche… La mer à l’infini.
Et cette barque !
Et il n’est que 7 heures.
De minuscules fourmis courent le long de la balustrade. Jérémie se met à les aimer… Il aimerait les vers de terre, ce matin. Il s’accroupit et en fait grimper une sur son index. Sur le mur opposé, une plus grosse, à tête massive et rouge attire son œil. Il lâche la petite et tente de se saisir de l’autre.
Impossible !
Dès qu’il approche son doigt, elle fuit et, si elle s’arrête devant l’obstacle, c’est pour se mettre en posture d’attaque, pinces entrouvertes et menaçantes. Jérémie n’est pas rassuré et ne sait comment s’y prendre.
– Si tu rongeais pas tes ongles, t’aurais pu déjà la pécho.
Jérémie sursaute et se retourne vivement.
Tarek, accroupi sur le seuil de la porte, les coudes sur les genoux et la tête entre les mains est en train de l’observer.
– Tarek !… Tu dors pas ?
– Non, je mate ton safari…
Jérémie s’accroupit à ses côtés et passe un bras autour de ses épaules.
– Y a un truc pour attraper une grosse fourmi, continue Tarek, la voix éraillée et les traits chiffonnés par le manque de sommeil. Faut mettre ton ongle tout près de ses mâchoires, elle le pince, toi tu sens rien, et elle le lâche plus. C’est têtu comme un rebeu ! Après, t’as plus qu’à lui arracher la tête, quand tu veux t’en débarrasser.
– Quelle horreur !
– Tu peux pas faire autrement, elle lâche pas, j’te dis ! C’est très con !
– Comment tu sais ça, toi ?
– C’est Karim, mon cousin, qui m’a appris quand j’suis venu… Mais lui, c’est super-Beygon. Les fourmis, les mouches, les cafards… tout c’qui fait chier, il t’les attrape ! Il fait des perquiz dans les buffets, sous les lits… Il laisse rien ! Il guette même les murs Lacoste !
– Les murs Lacoste ?
– Ouais… Le soir, quand les tarentes restent scotchées sur les murs, on dirait des p’tits crocodiles… Ça signe les façades !
Jérémie sourit, comblé. Oubliées les fourmis. Il contemple son ex-fan… Cadeau encombrant et indispensable.
– Tu veux qu’on prenne le p’tit déj’ sur la terrasse ?
– T’es ouf, t’as pas vu l’heure ? Tout l’monde comate.
– Mais l’hôtel est vide.
– J’te parle de ceux qui font le service… Je suis sûr qu’ils ont engagé une meskine qui arrive vers 8 heures. On est carrément seuls... grave! C’est Brian de Palma, cet hôtel !
– Qu’est-ce qu’on fait, alors ?
Tarek se masse le visage, sourit et baisse la voix jusqu’au chuchotement.
– Tu m’as fait l’amour khamsa. (Il tend sa main, doigts écartés en éventail.)
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
Tarek a une expression totalement enfantine.
– Khamsa, ça veut dire cinq en arabe… On a baisé cinq fois cette nuit.
– Et alors ?
– Viens, on va attendre un peu pour le p’tit déj’… J’peux pas rester dans cet état… Regarde. (Il montre du menton son caleçon et place la main de Jérémie sur son sexe.) Setta, ça veut dire six… Et six, c’est un chiffre rond ! Rentrons dans la chambre.
La porte se referme, et l’étrange hôtel sans voyageurs, les cours bordées du velours pourpre des pensées, les jardins où serpente le tuyau d’arrosage jaune, retrouve l’absolue tranquillité que convoitent les petites tourterelles grises de Tunisie.../...






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De retour des Canaries…
Belles rencontres de travail et joyeuses journées au soleil, en dehors des rendez-vous officiels.
Un pays que je ne connaissais pas, mais qui me laisse sur ma faim, car j'ai  l'impression de n'y avoir vu que du béton, des centres commerciaux et une organisation effrénée autour du tourisme. De toute évidence, l’île mérite une revisite pour découvrir son côté caché, encore sauvage, le seul qui m’intéresse. Heureusement, j'ai pu admirer la flore tropicale et, grâce à l'équipe qui a organisé les rencontres littéraires et quelques amis qui vivent de longs mois par an là-bas, j’ai eu la chance de me promener dans quelques villes et villages encore protégés, mais trop peu, hélas.
Je reviendrai un jour (peut-être) mais cette fois-ci je m'attacherai à visiter les forêts, les lacs, les montagnes et les plages désertes de l'île.
Quoi qu'il en soit, maintenant… travail ! Un boulot monstre m’attend et j'ai promis de le livrer à la rentrée.


San Cristobal, un petit port de pèche et ses maisons typiques aux couleurs vives… Un décor qui m’a ému, où les enfants et les gens semblaient tous se connaître et partager des instants paisibles, un peu en dehors du tumulte extérieur et de l'autoroute à quelques mètres de là...


Le sourire d’un jeune canarien.


La tonnelle, à l'entrée de notre bungalow…

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Un dernier regard, celui de Ringa, pendant une abscence de quelques jours...  à bientôt.

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I
l faisait très chaud ; l’orage pointait sur Sfax.

Une fois la voiture embarquée dans les entrailles du Ferry, nous étions montés sur le pont. Les îles Kerkennah nous attendaient, à une heure de là.
Aucune possibilité de trouver une place assise ; les familles avaient très vite investi les bancs.Moez et moi, nous sommes restés debout sur le pont
Des musiques s’élevaient des transistors et certains garçons chantaient tout en fumant.

L’air était saturé des odeurs du bateau et de sa mécanique auxquelles s'ajoutaient celles des chawarmas, des frites et de l'ambre solaire qui virait sur la peau de quelques touristes. J'ai toujours aimé ces ambiances un peu survoltées qui éxaltent et donnent à croire que quelque chose va arriver. Le ciel anthracite encourageait cette impression. je me sentais si bien.
Les mouettes tournoyaient dans le ciel, attendant le départ elles aussi, voyageuses gourmandes dans le sillage du bateau.
Moez retira son tee-shirt et s’accouda à un parapet poisseux de sel, à l’arrière du bateau.
Il m’observa un moment,
ses yeux étaient rieurs ; enfin, il hocha la tête comme pour dire : " C'est dur... " ou "C’est la vie...", peu importe. Ce mektoub disparaîtrait dès qu’on serait sur la terre ferme et qu'on roulerait au milieu des palmiers sur les routes sableuses qui mènent aux rivages de l'île.
Je lui dis de ne pas bouger ; j’immortalisai son expression.
Juste un rectangle d’orage autour de ce sourire…  juste un sourire avant la pluie.
Moi, je n'aurais jamais quitté le bateau.


 

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Un soir de 1993, alors que j’étais chez ma mère, je pris un de ces vieux bouquins qui traînaient au salon et dans l’un d’eux je lus de biens étranges histoires sur les coutumes extravagantes de certains pays… je tombai sur le récit d’un homme qui, dans une région de l' Amérique du sud (je crois), avait épousé une femme morte. J’appris que ça se pratiquait souvent pour des raisons de succession et le prétendant de ces noces pour le moins monstrueuses, acceptait l’idée de sceller une union avec, auprès de lui, une défunte parée pour la circonstance de tous les signes du mariage, parfois dans un état proche de la décomposition et parfois même, c’était une momie. Pourtant, le cérémonial avait lieu, ainsi que la remise des alliances.
Plus tard, en 1995 je terminais le tableau ci-dessus et alors que je lui cherchais un titre, un seul vint à mon esprit : « Les mariés de février ».
J’ai par habitude d’écouter mes pulsions même si parfois leur sens m’échappe.
Je signais donc mon tableau et incrivis son titre au verso.

Une année auparavant, au matin du 14 février 1994, j’avais reçu un coup de fil de l’une de mes sœurs qui me souhaitait un bon anniversaire. Sa voix était dynamique comme à l’ordinaire, son humour bien là…
Le lendemain 15 février, son fils m’appelait pour m’annoncer sa mort.
Je ne tiens pas à étaler ma douleur et ce qui se passa dans ma tête dans les instants qui suivirent cette terrible nouvelle.
Je sais simplement que le lendemain en soirée, je prenais l’avion pour Hyères, dans une espèce d’hallucination permanente, n’entendant rien à ce que je faisais, agissant comme un automate. Deux heures et demie plus tard, je pénétrais dans la chambre où reposait ma sœur, après avoir traversé son jardin qui scintillait d'un givre hivernal. Je ne comprenais pas son silence et son immobilité... elle si drôle, si vivante. Elle était belle dans la mort comme elle l’avait été dans la vie. Elle avait 57 ans. Le temps n’avait jamais eu de prise sur ses traits, ni sur son corps.
Je demandai qu’on me laisse seul. Je m’allongeai à côté d’elle et lui prie sa main froide. Je caressai son front, ses cheveux ; je la regardai, je la regardai… puis, très naturellement j’ai ôté de mon cou la chaîne qu’elle m’avait offerte pour ma communion et je la lui passai autour du poignet. J’avais l’impression de faire un geste important, le geste d’une union…

Quelques mois après avoir terminé mon tableau, alors que j’étais
une fois encore de passage  chez ma mère, je fis comme toujours le tour des livres qui traînent au salon et je retombai sur celui que je viens d'évoquer. Je le feuilletai distraitement et à nouveau le mariage de ces hommes avec des mortes me sauta aux yeux. D’un seul coup, comme si je recevais une gifle, l’explication du titre de mon tableau me vint brutalement à l’esprit ; j’avais peint un homme qui tenait dans ses bras une sorte de pantin en bois avec les attributs de la mariée : le voile, les gants, la couronne de fleurs… Tous les deux portaient une  alliance et sur le côté gauche, vers le bas, un petit portrait de ma sœur, dessiné grossièrement donnait la clef.
Oui, « Les mariés de février » étaient bien ceux-là ; un frère vivant, avec sa sœur morte ! L’alliance... une simple chaîne, l’union sacralisée par le tableau.
Mon inconscient avait absorbé l’histoire et l’avait restituée des années après… pour symboliser cette funeste soirée qui m'avait tant marqué.


Ma soeur quelques mois avant sa mort...

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Cuir noir sur cuir noir... Salim Kechiouche à la maison mercredi dernier. Séance photos, bavardage et fous rires, projets aussi ; un vrai plaisir, comme d'habitude.












Regard enfantin  et sourire timide...























...
P
rofil d'acteur










































Décidement, il y a des jours où tout va bien... où l'amitié, comme le chante Françoise Hardy, "vient des 
nuages".


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.../
Une fois seul, Tarek serre les mâchoires. Il s’approche de la fenêtre et colle son front contre la vitre glacée.
Dehors, le parking de l’immeuble.
Les voitures figées… vernies d’un crachin tenace.
Il a fait si beau la veille.
Il aperçoit les platanes, derrière la bande à Raouf. Les six ringards de la cité ! Des brutes sans charmes, des loubards comme seule la société peut en créer… des génétiquement modifiés sans l’ombre d’une expérience scientifique mais juste par overdose de rejets systématiques
et de rage dans un système où seul le fric vous protège et s’affiche à longueur de journée, des écrans de télé jusqu’aux murs des villes.
Il soupire et pense à la vue que Jérémie embrasse depuis le dernier étage de son immeuble.
Quatre jours ont passé déjà depuis sa soirée chez lui.
Une soirée inoubliable.
Ils ont ri, ils ont chanté.
Lui, Tarek, le petit beur, a même poussé la chansonnette, accompagné au piano par son idole. Jérémie est resté soufflé par ses qualités vocales et son oreille musicale. À tant boire et tant fumer, ils se sont ensuite effondrés comme deux masses sur les canapés.
Très tôt, l’émotion a balayé le sommeil du jeune homme mais, une fois debout, il n’a pas osé réveiller Jérémie. Alors il l’a observé avec attention, toujours conscient de l’impensable rencontre. Ses yeux se sont contentés de s’emplir des traits abandonnés du chanteur endormi et de l’expression enfantine que lui donnaient les rêves de l’instant.
Malheureusement pour Tarek, son quotidien sans saveur l’attendait. Sa grand-mère devait piaffer d’impatience. Paupières plombées au désespoir, il s'était résolu à repartir, à quitter ces lieux d’oubli de soi. Juste un petit mot d’adieu, avec retenue…
Ne pas paraître excessif, une fois de plus.
Ne pas lasser et faire entendre ses cris muets avec humour… Surtout faire rire… Pour les confessions, il verrait plus tard.
Mais quatre jours… Quatre jours !
Persuadé que Jérémie l’aurait appelé dès le lendemain, il s’est évertué à gommer les minutes qui formaient des heures et les heures, des journées… des nuits !
Quatre jours !
Il s’en veut de ne penser qu’à ça et de s’abîmer dans une mélancolie sans nom. On s’habitue si vite à l’absolu.
Il se détourne de la fenêtre et ses yeux tristes rencontrent le divan défait bordé d’un cosy minable acheté en salle des ventes et où s’entassent pêle-mêle livres et maquettes d’avions poussiéreuses et sans couleurs. Il avait dix ans quand il les a construites et, à cet âge-là, son bonheur pouvait prendre forme avec un tube de colle et des morceaux de plastique à assembler.
Il soupire et continue l’inventaire minable.
Bureau de merde en stratifié, vestige de ses études, sur lequel trône une petite chaîne compacte de mauvaise qualité qui ressemble à une grosse tête de mouche avec ses haut-parleurs arrondis à chaque extrémité. La chaise de cuisine aux pieds chromés et au dossier en formica sur laquelle il jette ses fringues avant de se coucher. Au-dessus du bureau, un poster de l’équipe de France de foot et un autre de Jérémie…
Jérémie Gil pour les autres. Pour lui, c’est Jérémie, son ami, du moins s’en persuade-t-il.
Qu’adviendra-t-il si le chanteur ne lui donne plus signe de vie ? Ses parcours immuables et l’ennui qu’ils promettent l’envelopperont à nouveau. Il n’a pas le courage, pas la volonté de faire marche arrière et de retrouver sa nonchalance et son ennui d’avant, d’avant six jours seulement.
Rien ne sera plus pareil.
Il se regarde dans le petit miroir accroché au mur. Il se trouve moche et, en plus, un petit bouton commence à incendier sa narine gauche. Il passe la main sur son visage de ce geste coutumier qui lui donne l’illusion d’effacer les instants pénibles et de pouvoir affronter avec plus de courage la suite des événements… Rien !
Il s’approche un peu plus du miroir et rectifie le tir. Il a une belle gueule arrogante ou soumise selon son humeur. Il examine ses dents, si grandes, si blanches, ses gencives… De ce côté-là, c’est le top. La bouche à présent… Les lèvres… Épaisses, sombres… Bleues, par grand froid… Il recule d’un pas, ôte son tee-shirt et se contemple de côté… Pas mal, ouais ! Un peu maigrichon mais bien dessiné, et puis avec des yeux comme ça… Des yeux d’âne comme dit sa mère, et chez elle c’est un compliment. Il sait bien qu’il plaît beaucoup. Il a si vite décodé les regards…
Il hausse les épaules, enfile un pull, prend ses cigarettes, son blouson, et se barre de chez lui en trois secondes en ayant soin au préalable de bousculer violemment Aquila, sa soeur qui,
tout à l'heure, a bravé sa sexualité et mis en doute sa "normalité". À bout de nerfs, elle hurle. La grand-mère ajoute en écho tout un chapelet de remontrances en arabe qui installe aussitôt une ambiance des plus cocasses à l’heure des infos sur la Une.
Il respire un bon coup et, une fois dans la cage d’escalier, avec un petit sourire, descend son bonnet jusqu’au yeux, vérifie dans sa poche s’il lui reste des capotes…
Pédé, lui ?… Et après !
/...











Pas plus d'inspiration qu'hier soir, alors encore un extrait d'un de mes romans... "Derrière les portes bleues".

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.../
Je me réveille brusquement et me relève d’un bond. Ma nuque ruisselle de transpiration et ma bouche est assoiffée. Je bats des paupières pour chasser le sable virtuel qui agace mes yeux. La chambre est obscure et n’offre pas de repère. Je consulte ma montre : quatre heures de l’après-midi. Pourquoi fait-il si noir ?

Un bruit de tonnerre répond à ma question.
L’orage.
Le vent de ce matin l’aura installé.
Je me lève, à moitié ensuqué. Maudite sieste ! Aussi détestable que celles, imposées par ma mère, quand j’étais petit et qui me plongeaient dans un ennui profond. Je ne trouvais pas le sommeil et, pour me distraire, je regardais par la fenêtre la rue immobile sous le soleil, la 4 CV Renault de papa, garée, dont le capot chauffé à blanc renvoyait des ondulations de chaleur, et les palmiers figés dans un ciel éblouissant.
J’ouvre les volets qui donnent sur la terrasse.
Dehors, l’horizon plombé écrase la mer. Je me suis allongé vers midi, exténué de n’avoir pas pu rencontrer Moez. Le résultat : un coma de trois heures.
De cet enfermement de l’air et des flots naît un silence inhabituel à cette heure-ci, un silence électrique qui laisse présager la dimension de l’orage, s’il éclate.
J’ai connu des montées d’eau spectaculaires à Tunis, comme à Carthage ou à Salammbô, de véritables crues à l’assaut des boulevards, des rues et des trottoirs. Ces pluies diluviennes devenaient un cauchemar de boue et d’alluvions pour les piétons et les automobilistes qui ne savaient plus quoi faire devant un tel déferlement.
Je regarde une dernière fois le ciel anthracite et, en même temps que ma tête lourde se réveille, mon chagrin se ravive doucement.
L’exil est pour bientôt, il faut que je m’y tienne. Je me dois de ne plus revenir ici. Je dois oublier mes projets. Le passé ne se conjugue pas au présent, ma sagesse pourrait naître d’un adieu définitif à la Tunisie, à ses mirages.
J’entre dans la salle de bain. Le bleu indigo de la faïence qui orne ses murs ne me séduit pas comme d’habitude. Je m’approche des lavabos et, dans le grand miroir qui les surplombe, je m’observe.
Je constate sans émotion particulière que l’ovale de mon visage commence à se relâcher, que les commissures de mes lèvres accusent la lassitude, l’amertume.
Je me fous de vieillir. Ces strates que les années installent en profondeur dans ma chair et qui viendront s’entasser, jusqu’à déformer mes traits, ne me préoccupent guère. Ce qui me navre et m’obsède, c’est le temps qu’il me reste… La triste impression d’être passé à côté de tant de choses.
Rien que des compromis entre les interrogations et les réponses sur le sens de la vie. J’ai du matin au soir des blessures si belles que je m’en acquitte de quelques larmes, mais ces calmes ruisseaux ne mènent nulle part et je suis sec comme les oueds que les pluies désertent.
Je me tiens si loin de l’énergie de mes vingt ans, quand mon désir de me dépasser était si fort, quand il me fallait regarder par-dessus l’horizon, tant je plaçais haut mon appétit de voir.
Les hommes étaient des étoiles. Je croyais en eux. J’écoutais de la musique qui rendait mon âme légère. J’écrivais des mots violents parce que j’étais violent d’amour… Et voilà ! Ce soir, je suis dans une salle de bain, couleur d’encre, perdu dans une maison immense, couleur d’ocre. Tout est derrière moi : ma gueule qui faisait rêver, mes yeux qui promettaient, mon corps qui exigeait.
Je retire avec lenteur mon tee-shirt et mon jogging, puis je me réfugie sous l’eau tiède et bienfaitrice de la douche.
Doucement, je lave mon corps sans que je puisse laver mon esprit. Me reviennent des images religieuses de grands peintres italiens, où le Christ nu reçoit l’eau sacrée du baptême...
Moi ! L’athée ! Penser à ça !
Je fais un effort pour chasser ces vieux fantômes divins.
De toute évidence, cette divagation est liée à mon échec avec Moez, qui me replace à l’époque toujours intacte, de mes douze à quatorze ans, quand jusque très tard dans la nuit, je copiais les maîtres de la renaissance pour comprendre leur technique, et que je jouissais de ce grand enfermement presque fautif aux yeux des autres. Déroutant… Je n’appartenais à personne. Déjà, bouillonnaient en moi des envies démesurées de partir, peindre, m’épanouir ailleurs… Les lendemains, quand j’arrivais au lycée encore dans les brumes de mes créations, j’avais un mal fou à redescendre sur terre.
Enfin, je parviens à me calmer.
Derrière l’écran de mes paupières fermées, défilent les moments de simple bonheur passés en sa présence : cet après-midi chez sa grand-mère, sur les hauts de Béja (il était heureux de me montrer sa campagne qu’il aime tant), où nous avions mangé des crêpes très épaisses avec du miel maison, très fort, très parfumé, notre voyage jusqu’au désert à l’écouter chanter dans la voiture, une fin de repas sur la terrasse, à somnoler devant la baie turquoise de Sidi… le rempotage d’une plante déracinée par mégarde, alors qu’il mimait à grands gestes comiques une danse arabe, nos mains dans la terre et nos fronts en sueur, cette incroyable poule blanche qui s’obstinait à déserter le jardin voisin et suivre chacun de ses pas… me reviennent aussi les portraits rapides à la mine de plomb que je traçais alors qu’il s’ennuyait à garder la pose… mes yeux de voleur sur son corps nu quand il dormait pendant la sieste.
L’intimité comme une grâce.
Comme un chemin inexploré.
Comme un écart à deux pas de la médiocrité.
L’intimité comme la possible entente des peuples sourds.
En attendant, le goût de Moez est sur ma langue, au bout des dents, et dans ma gorge.
Le goût de Moez est dans mes yeux, au bord des cils, et dans mes larmes.
Je ferme le robinet et sors de la douche alors que, dans un fracas éblouissant, la foudre s’abat tout près d’ici.
Je rêverais qu’un éclair magique illumine ma vie de cette façon, juste une seconde… le temps de voir clair dans mes ténèbres, de voir l’intérieur de mon corps… Un peu comme les médecins savent déchiffrer les radios muettes devant leurs écrans lumineux.
J’enroule une serviette autour de mes hanches. Je vais sur la terrasse. La pluie, en grosses gouttes bruyantes et espacées, commence à tomber.
Une nouvelle lumière, crue et bleue, zèbre le ciel. Soudain l’obscurité s’étend de toute part, sur le village, sur la mer, sur Bou Kornine et, là, sur moi, comme un suaire.
Je me tourne vers la chambre entrouverte, les lampes se sont tues.
Panne d’électricité générale.
/...
Pas d''inspiration ce soir... Juste un extrait de mon roman Bou Kornine /éditions Bonobo / 2004.

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