Hesna, une de mes amies tunisiennes, souhaitait que j’aille à la rencontre d’élèves de condition très modeste dans une petite école nommée Ksar Bou Khris, nichée au creux des collines de Bouarada dans la région de Siliana. Elle pensait que je pouvais les distraire de leur quotidien en faisant des dessins avec eux. J’ai dû combattre ma timidité pour accepter cette proposition qui m’a aussitôt séduit. Cependant, aujourd’hui que cette rencontre a eu lieu et que je veux faire partager cette expérience au plus grand nombre, il me faut trouver le ton pour la conter sans tomber dans la compassion, l’exaltation ou toute autre empathie qui gommerait l’énergie, la fierté de ces élèves et de tous ceux et celles qui sont en charge de leur éducation et la prennent à bras le corps.
Donc, avec une émotion à peu près contrôlée, je vous présente cette petite école toute simple, toute lumineuse....
...dans laquelle se rendent à pied, sur des distances de trois à cinq kilomètres, des enfants adorables, bourrés d’énergie, de sourires à revendre, de regards espiègles ou secrets et qui vous donnent des leçons de courage.
Pour en avoir embrassé quelques-uns, je peux vous dire que leurs joues sentent bon la campagne, les fleurs séchées, l’herbe écrasée, la terre, la nature. Ils sont beaux, émouvants, vrais et comment pourraient-ils en être autrement ? Ils vivent dans la région de Siliana où la terre généreuse et propice aux récoltes céréalières offrent des paysages dont la beauté des paysages accidentés, parfois torturés s’ouvre sur des collines verdoyantes jusqu’à l’infini vous emporte et vous exalte aussitôt.
Quand je suis arrivé dur place, ces enfants étaient là, sagement assis à l’entrée de cette école en pleine nature à attendre la venue de ce « Monsieur français qui dessine ».Timides tout autant que moi, ils parvinrent cependant à se détendre très vite dès que je me suis adressé à eux en leur demandant leur prénom. Le barrage de la langue, bien qu’ils parlent déjà un peu le français, ne permettait bien évidemment pas un échange aussi fructueux et facile que je l’aurai souhaité. Cependant, cette barrière du verbe est vite tombée dès que les regards, les sourires, les gestes sont entrés dans la danse. J’ajoute que mon appareil photo sut déclencher chez certains d’entre eux, un enthousiasme auquel je ne m’attendais pas. Encouragé, j’ai pris beaucoup de photos, mais j’en ai raté un grand nombre, trop imprégné à être présent plutôt que simple voyeur derrière un objectif, mais si j’en ai raté par ma maladresse, il faut bien avouer que j’en ai raté aussi parce que je ne suis pas photographe.Après ces présentations maladroites et attendrissantes, le petit groupe se leva pour me suivre...
...Quelques bancs d'écoles fatigués et ayant bien vécu se reposaient au soleil...
Les élèves sont rentrés dans la classe puis se sont sagement assis. Dans la petite classe trônaient de vieux ordinateurs qui ne fonctionnaient pas, tout est si compliqué pour que le ministère s’occupe de cette lacune… L’après-révolution tunisienne préoccupe tant, désorganise aussi. Tout est fragile. L’espoir nait autant qu’il meurt plusieurs fois jour.
Encore quelques sourires, de sfous rires, puis chacun d’eux a pris une feuille et un crayon. Je voulais les voir improviser des dessins sur leur avenir ou ce qui les passionne puis très vite, je suis passé de bureau en bureau pour en considérer le résultat.
C’est avec un sérieux stupéfiant et touchant à la fois qu’ils se mirent au travail.
...ce qui n'empêchait jamais de beaux sourires...
Avec les rares crayons de couleur qu’ils possédaient, la plupart d’entre eux dessinèrent avec rigueur des maisons importantes, massives, bien tracées, puis tout autour des fleurs, des nuages, de la pluie, des arbres, des chevaux.
Une petite fille, alors que je lui demandais pourquoi elle avait dessiné tant de fleurs m’a dit en rougissant « il faut que "vivre" la nature… »
Croyez-moi j’avais les larmes aux yeux. Quand je pense, aux nombres de spots publicitaires et de discours d’hommes politiques qui martèlent le sujet pour que nous pensions un peu à notre planète, ici, en pleine nature, cette adorable enfant le savait.
...Certains d’entre eux récitèrent des poésies en arabe ou chantèrent...
...ils furent applaudis comme il se doit et en furent très fiers. Puis ce fut l'heure de quitter les lieux. Je regardai une dernière fois cette classe qui me rappelait ma propre classe lorsque j'étais petit...
Par la suite, avec les éducateurs, nous avons parlé de la difficulté au quotidien de faire marcher une telle école avec des moyens si restreints… Nous étions dans la cour qui est presque un champ et autour de nous le paysage serein adoucissait les craintes, les angoisses que chaque Tunisien ressent au fond de lui depuis la révolution. Au loin, une bergère promenait ses vaches, le silence était à peine entrecoupé des éclats de voix des enfants....
...qui repartaient chez eux en nous faisant des petits signes amicaux. Oui, tout était beau, calme, serein, sauf le cœur qui, lui, ne sait pas jouer la comédie. Je reviendrai ici et souvent. J’essaierai avec des amis proches de récolter des fonds ou du matériel éducatif, je dessinerai de nouveau avec eux les maisons, les fleurs, les arbres, la nature à protéger et peut-être enfin les chemins de l’espoir.
Merci à tous ceux qui m'ont permis de vivre ce rendez-vous magnifique, essentiellement à Hesna. Merci à vous mes amis qui m'avez honoré en me mêlant à votre combat pour « notre » Tunisie, qui, je le rappelle, a besoin de ceux qui pourraient l'oublier à trop l’avoir confondue avec le simple soleil de leurs vacances. La Tunisie n'est pas une carte postale. C’est un peuple.