Ce cheval était métallique et brillant comme de l’argent. Sa selle se soulevait laissant entrevoir l’intérieur de ses flancs. De ce trou béant quatre autres trous, comme des cheminées plongeaient et formaient l'intérieur de ses pattes.
Ce cheval était une tirelire. Il n'avait rien d'un jouet. Il était simplement beau, froid et lourd. Il restait sur le balcon où je l’abandonnais chaque soir après les jeux pour retrouver mon lit.
Un matin, il disparut…
Je le cherchai pendant des jours... et puis, bien des mois après, il réapparut sur le balcon, toujours aussi brillant, toujours aussi froid, toujours aussi lourd, mais avec les quatre pattes soudées grossiérement…
De là, naquit un des plus invraisemblables mystères pour l'enfant de cinq ans que j'étais, un enfant en quête de vérité, d’explications de toutes choses, et d’une curiosité insatiable…
Qu’avait donc pu vivre mon si beau cheval pour avoir disparu du jour au lendemain et être revenu, blessé à jamais, infirme sur le balcon.
« Le vent a dû l’emporter et le vent te l’a ramené ».
Ce fut la seule explication qu’on me donnât…
Je ne m’étalerai pas sur les autres détails de cette énigme qui me confondit et engagea chez moi, dans ces années-là, un processus de démystification qui s'amplifia et que je transposai bien plus tard, et tant de fois, dans mes peintures où le cheval toujours représenté en victime, en mécanisme ou en combattant, demeure un cheval très singulier.
Plus étonnant fut le jour où ayant à peindre l’ombre projetée d’un homme, elle prit sans que je le veuille la forme d’un cheval. Sur le coup je ne m’en aperçus pas, mais un matin alors que je m’apprêtais à continuer ce tableau, j’ai réalisé cette incroyable transposition de mon chagrin d’antan. J’ai voulu tout d’abord corriger cette ombre et la rendre plus humaine et puis j’ai réfléchi, allant même jusqu'à ajouter une bride pour mieux définir cet animal.
J’appelai ce tableau « Blessure d’animal » et plus tard un de mes romans où le cheval a une place toute particulière, s’appela « Blessure animale ».