Tous les deux sont assez marrants d’ordinaire, mais ce matin, ils avaient une mine sombre que j’attribuai bêtement à l’abus de foie gras et à la bonne bouffe des fêtes de fin d’année où l’on prend goût aux extras…
Le chignon de ma bouchère avait une vague allure de tour de Pise et la rondeur de son visage n’exprimait que l’excès de bonne chère ; nul tressautement de joyeuse humeur dans ses bajoues. Non… elles retombaient sur son col immaculé traversé d’un ravissant collier africain qui pour le coup avait l’air d’un sans-papier échoué sur la pourtant généreuse et accueillante poitrine.
Je m’enquis donc de leur morosité, tandis que mon boucher attrapait d’une main mollassonne l’entrecôte qu’il venait de trancher pour la peser.
La caissière me regarda tristement.
– Mon mari a la maladie du fer...
Je relevai un sourcil en signe de non-compréhension…
Je récoltai un soupir bruyant de la part du boucher qui enveloppa mon entrecôte avec lassitude dans un papier rose et satiné comme ses joues. Le cœur n’y était vraiment pas.
Alors, prudemment, je questionnai la bouchère.
– Et c’est quoi, cette maladie ?
– Y garde le fer !
(Et moi qui pensais qu’il ne gardait bêtement que l’argent !)
– C’est à dire ? demandai-je encore.
– Ben y garde le fer, vous comprenez… Et ça, ben, c’est pas bon du tout. Ça lui fait des problèmes de partout ! y s’sent toujours patraque !
– Ah Bon ?
– Voui voui voui ! Et puis c’est pas tout, ça lui fait des écailles de poisson dans l’dos.
J’avalai ma salive à la découverte de cette surprenante mutation pour un boucher.
– Mais comment vous vous en êtes aperçu ?
– Ça a commencé avec ses seins qui sont dev’nus tout gris !… M’en parlez pas ! Et j’vous dis pas pour le reste… ça diminue ! (là, la bouchère fit tourner mystérieusement ses prunelles par trois fois, d’un air entendu)… et puis ses doigts s’enflamment… Quand j’y pense, ça m’gratte partout !
Sincèrement désolé, mais aussi extrêmement attiré par ce discours audacieux, je tentai d’en savoir plus.
– Et que faut-il faire dans ce cas ?
– Ben, faut l’saigner une fois par semaine ! Un bon bol !
J’eus un frisson dans le dos.
Triste destinée d’un boucher…
Plus tard, chez moi j’ai cherché sur le net qu’elle était cette mystérieuse maladie. Je ne vais pas tenter de vous l’expliquer, mais ma bouchère avait tout juste, sauf qu’il fallait un peu traduire…
Effectivement, son mari gardait bien le fer. Il était atteint d’hémochromatose et de ce fait se fatiguait très vite ; ses mamelons devenaient gris et il souffrait d’hypogonadie, sa peau se desquamait et formait des petites écailles au niveau des épaules, sans parler des inflammations articulaires ; pour finir, il fallait une fois par semaine lui retirer 500cc de sang pour atténuer l’excès de fer…
Un boucher qu’on saigne, qui a des écailles de poissons, les doigts qui s’enflamment et les seins qui deviennent gris… c’est la revanche des bovins !
Quelle misère !