Le hasard d’un siège d’accueil m’avait placé en face d’une femme d’une cinquantaine d’années et de sa fille qui devait en avoir la moitié.
Toutes les deux avaient l’air de bien s’entendre et, ensemble, elles décortiquaient passionnément un magazine « glamour » qui semblait regorger d’articles tous plus intelligents les uns que les autres.
La jeune fille mâchait un chewing-gum avec une élégance toute bovine et lâchait des « Oh » et des « Putain, qu’elle est belle ! » dès qu’au détour d’une page, apparaissait la silhouette d’une star botoxée, d’un mannequin ou d’une présidente chanteuse (spécificité française).
La mère qui jouait de ressemblance avec sa progéniture tentait de se faire passer pour sa soeur et pour s’en convaincre, portait le même jean moulant (avec quelques kilos supplémentaires qui obligeaient l’ouverture du premier bouton de sa braguette), les mêmes breloques aux bras et aux oreilles, le même gloss outrancier sur les lèvres et elle mastiquait avec autant d’ostentation, doublant ainsi le très désagréable claquement de bulles d’air.
Bref, même QI.
Je ne pouvais pas m’empêcher de les observer... quand la fille arrêta brusquement la lecture du subtil ouvrage et regarda sa mère avec dans les yeux la lueur diffuse de cette culture « people » dont son cerveau était baigné.
– Francis, y veut que j’ m’ refais les seins, souffla-t-elle en se grattant la cuisse avec la délicatesse d’un chien bourré de tics.
La mère s’arrêta de mastiquer et, tandis que son profond regard se bloqua sur quelques funestes visions mammaires, sa mâchoire resta décrochée.
Sa bouche forma quelques « U » d’inquiétude puis quelques « O» de stupéfaction ; le sujet était grave et méritait bien que la fonction buccale émette quelques signaux alphabétiques essentiels qui personnellement me libérèrent du délicieux bruit de mastication en stéréo.
La réponse ne tarda pas, cependant.
– T’es folle ?… Refaire tes seins… Franchement, à ton âge !
– Ben ouais… Francis, y kiffe les gros seins… y dit qu’ les miens, c’est des poires !
– Mais il est fou… tu sais combien ça coûte ?
– J’ sais pas, 4000, 5000 euros… un truc comme ça, genre !
– Et où tu veux que j’ trouve cette somme ?
– Mais c’est Francis qui paye… qu’est-ce tu t’imagines !
La mère recommença à faire claquer son chewing-gum, replongea ses yeux dans le magazine que sa fille feuilletait à nouveau de ses doigts épais et courts qu’un vernis noir pailleté raccourcissait davantage.
– Putain… C’est pas ton père qui me f’rait un tel cadeau, pourtant les miens c’est des vrais gants de toilette, conclut la mère tandis qu’elle plissait les yeux pour mieux regarder Monica Belluci qui, la poitrine arrogante et le visage photoshopé à mort, s’étalait en double page…
Quelle intox ! Quelle misère !