À mon habitude, j’ai rempli le plus rapidement possible mon caddy pour me sauver aussitôt, mais juste avant de terminer mes achats, j’ai vu au rayon vaisselle des assiettes blanches, ovales et assez grandes. J’ai trouvé leur forme intéressante et je me suis même étonné de leur originalité pour un article tout venant. Ni une ni deux, j’en ai pris quatre sans réellement en avoir besoin et j'ai bouclé mes courses. Bien vite, je me suis présenté aux caisses pour déclarer ma marchandise surtaxée…
Après une longue attente, j’ai pu enfin déposer mes objets sur le tapis roulant.
La caissière commença à les faire passer d’un air blasé (on la comprend) quand, stupeur!... ses yeux se posèrent sur mes assiettes blanches, hosties déformées pour la rédemption de mes péchés matérialistes. Elle arrêta tout net son travail et l'air grave, se mit à les soupeser, les considérer sous toutes leurs coutures, puis elle me dit :
« Elles doivent être bien pratiques ces assiettes, avec cette forme… ça les fait grandes. »
Distrait et surtout pressé d’en finir car j’avais une foule de choses à faire dans la journée, j’acquiesçai d'un borborygme, mais à ce moment intense de l'échange, elle me regarda, le front soucieux, voir buté, et poursuivit.
« Oui... ça s’rait drôlement pratique chez moi, avec mon mari qui déborde !
Là, j’ai quand même soulevé un sourcil en signe de non-compréhension ; dans ma tête, se dessinait brusquement un homme un peu épais et extensible, mais c’était quand même flou.
« Pardon ? » demandais-je poliment.
D’un air quelque peu excédé devant mon manque d’ouverture, ma caissière reprit son travail en lâchant :
« Ben oui, mon mari déborde toujours quand il mange. Y’en a partout! Après j'ramasse. »
Et voilà. Ce mari qui mange sans précautions, autant dire salement, est donc un mari qui déborde.
La semaine dernière cette même caissière confiait à sa collègue qui venait la remplacer.
« Dimanche j’ai traversé la route avec Jean et je m’ai foulé l’pied à cause qu’une voiture m'a pas vue. Il a dû m’ram’ner aux urgences d’Évreux. Y’avait un monde… j’te dis pas ! Rien qu’des éclopés. Comme ici !
L’éclopé dont je fais partie paya, puis sortit du centre le clair avec enfin une petite envie de rire, même si c’était méchant de ma part dans le fond, mais ça faisait longtemps que je ne riais pas.