Nos joues se frôlaient, nous respirions chacun le souffle de l’autre, nous croisions nos sueurs et nos parfums.
J’étais tant penché vers toi que mes mains devaient prendre appui sur tes cuisses pour garder l’équilibre sur le tabouret et les tiennes s’agrippaient à mon jean.
L’alcool allumait nos yeux, nos sens, et rendait fragile notre posture de fortune.
Cette communion improvisée me troublait et comme toujours dans ces cas-là, je rêvais de rompre cette intimité. L’introversion n’est pas chose aisée et nécessite tous les subterfuges pour y mettre fin.
Cependant, incapable de trouver les mots qu’il aurait fallu prononcer dans ces moments-là, je t’écoutais patiemment me confier l’angoisse que tu éprouvais à devoir quitter ta région pour Paris et embrasser le métier de mannequin, d’autant qu’un récent chagrin d’amour abîmait encore ton assurance.
Je t’avais trouvé le studio d’un copain pour que ce séjour parisien ne te pose pas trop de problèmes et que tu puisses envisager en toute quiétude les séances de shooting programmées par des photographes professionnels. Tu étais encore fragile et habitué à nos seules séances de pose. Ça me torturait le cœur de te voir, ainsi lâché, dans Paris, simplement armé de tes vingt ans et de ta beauté.
À deux heures du matin, je te raccompagnai au studio, mais avant de repartir, tu voulus que je monte avec toi. Assis côte à côte sur le lit, nous prolongeâmes nos confidences encore longtemps. Moi qui t’avais vu sous toutes les coutures, et qui pour l’avoir tant photographiée, connaissais par cœur chaque centimètre de ta peau, je n’avais jamais ressenti l’immense attraction que j’éprouvais pour toi à ce moment-là, alors que seule ton âme était à nue.
Impossible de nous séparer.
Nos yeux restaient accrochés et c’est avec difficulté que je décidai enfin de m'en aller.
J’étais au supplice.
De retour dans la voiture mon blues était tel que des larmes me montèrent aux yeux. Les rues de Paris, désertes à cette heure-là, ajoutaient à mon vide intérieur. J’avais l’impression de rouler dans une ville qu’une terrible catastrophe aurait vidée de sa population.
Désormais tu appartiendrais à la création des autres.
Pygmalion restait seul.
Deux ans plus tard, alors que j’écrivais ce qui devait être mon deuxième roman, Derrière les portes bleues, je retranscris ces moments d’attraction dans la discothèque et je fis dire à l’un de mes personnages, les mots faussement insouciants que ce soir-là, je n’avais pas su trouver :