Lorsque dans la pénombre bleutée, Mohamed ôta son tee-shirt et qu’il le fit glisser à terre, les grandes cicatrices zébrant son torse et ses bras me semblèrent plus marquées que sous le soleil quand il s'allongeait à même le sable de la plage de Rimel, près de Bizerte.
Je n’en dis rien et commençai une série de photos à l’intérieur de la vaste demeure qu’un ami nous avait prêtée à cette occasion.
Pendant plus d’une heure, je fis des gros plans de ses yeux, sa bouche, son buste comme si tout était normal. Pourtant, à chaque déclic de mon obturateur, je croyais entendre le bruit du couteau avec lequel il s’était tailladé la chair un soir de grande dispute avec son père qui n’admettait aucun différend sous son toit… aucune rivalité.
Depuis longtemps déjà, il m’avait raconté par le détail cette impossible révolte contre le patriarche qui avait conduit à sa folie autodestructrice en pleine nuit, pour calmer ses nerfs ; je l'avais mise de côté, bien rangée, mais là, l’objectif focalisait ce drame et me le renvoyait en plein visage.
Mohamed aux yeux si doux.
Mohamed, rencontré quand il n’avait que dix-huit ans.
Mohamed, aujourd'hui, avec ses cicatrices.