Salammbô… Ce nom résonne en moi depuis bien longtemps. Flaubert y est pour quelque chose ; l’acteur Jacques Sernas également. Mais en dehors de son iconographie historique, romanesque et cinématographique, Salammbô est un quartier de Carthage. C’est là où vivait Mohamed, le garçon qui m’inspira le héros de mon roman Derrière les portes bleues, comme je l’expliquai dans mon précédent article.
Salammbô grouille de vie, Salammbô souffle, Salammbô geint ; il habille les silences et travestit les rêves les plus obscurs. Les piétons investissent les routes et évitent soigneusement les trottoirs. Tout le monde se parle d’une rue à l’autre, s’interpelle et se presse dans les petits magasins d’alimentation qui dégagent les parfums d’épices et croulent sous les grappes de piments rouges séchés et accrochés aux murs. C’est en voiture pourtant, au milieu de cette foule indisciplinée qui me donnait des frayeurs, que je me rendais chez Mohamed.
Quelques années plus tard, celui-ci s’installa en France et, à son tour, il vint me rendre visite. Lorsqu’il découvrit les rues vides, le calme sidérant et le silence absolu de mon hameau, il pensa qu’il était arrivé quelque chose de grave.
Musique, thé et discussion amicale me permirent, comme autrefois dans la petite cour de Salammbô, de le photographier.
Je garde ainsi ces quelques portraits pleins de gravité où je retrouve intactes ses inquiétudes de l’époque, quand vivre à Paris l’impressionnait encore et que rencontrer l’amour lui paraissait impossible.
Cet après-midi-là, il ignorait que tout se passerait bien, que je serais même le photographe « officiel » de son mariage six ans plus tard, qu’il deviendrait papa, et serait heureux.