– Tu refuses de m’entendre. T’es mon ennemi Jihad… C’est la version officielle. Moi aussi, je pourrais te tuer pour le simple plaisir d’assouvir ma haine et venger mes parents… Tout ça, je pourrais le faire, je te le jure. J’en ai même très envie quand je vois ton obstination, ta férocité… Je suis pas un saint, crois-moi ! Mais c’est tellement plus difficile de faire le contraire, tellement plus difficile d’oublier, de pardonner… Tellement plus difficile d’apaiser… On a tant de points communs. Tu vois pas ?
– Je ne vois que ton âme ! Perdue.
– Arrête avec ces clichés, tu me saoules.
Jihad cherche dans la direction où il a jeté sa cigarette tout à l’heure, la retrouve, la remet en bouche et l’allume à nouveau ; il reste un moment silencieux, puis finalement il la tend à David qui, surpris par ce geste, met quelques secondes avant de l’accepter.
– Ton âme est perdue ! Et c’est pas un cliché, conclut-il
David repasse la cigarette et s’accroupit.
– Si. C’en est un. Tu veux pas m’écouter. J’essaie de ne pas te voir seulement en ennemi. Tu pourrais en faire autant… On peut échapper à la fatalité… Il le faut ! Regarde… On partage bien cette cigarette et cette nuit.
– T’essaies de m’endormir ?
– Non, j’ai pas qu’ça à faire… On est jeunes, c’est tout.
– Qu’est ce que ça change ?
– Tout Jihad, tout. Nos bras sont forts. Ils pourraient construire plutôt que détruire… Ils pourraient s’unir. Ça c’est explosif… Bien plus explosif que toutes les bombes réunies.
– J’aime pas entendre ça.
– Pourquoi ?
Jihad semble mal à l’aise. Il s’accroupit à côté de David.
Il pense à son enfance, à ces années où le destin ne lui a rien accordé de futile, où jouer n’a jamais été qu’une réplique de ce qu’il voyait autour de lui, et ce qu’il voyait n’était que violence et combats, misère et famine. Comment faire partager à David cette angoisse qui est la sienne depuis toujours ? Comment lui dire que la guerre est son seul exemple ? Comment lui dire qu’il veut l’Intifada ? Il se masse lentement la nuque, comme pour trouver un peu de douceur. Un peu de ce que son corps tout entier attend.
– Parce que lorsque je regarde mon pays, commence-t-il avec lenteur, quand je vois tous ces enfants qui n’ont rien… la faim qui nous bouffe doucement, je peux pas accepter des mots qui voudraient calmer mes ardeurs… Je souffre trop. Tu peux comprendre ça ? Je souffre trop pour parvenir à les écouter. Je veux des mots violents, des mots qui vengent… des mots qui tuent ! ... / ....