Inlassablement, dans ces cas prècis, je citais intérieurement chaque chose offerte à mes yeux, comme un acteur apprend un texte afin de le restituer sur scène.
C’est ainsi, que parmi tant de souvenirs, j’ai en mémoire un petit matin de mes dix-huit ans, où, alangui et fatigué d’avoir fait longtemps l’amour dans la nuit, je me reposais tout contre D.M…
J’avais conscience de vivre quelque chose qui ne se reproduirait plus, tout au moins dans ces conditions… Il avait escaladé jusqu'au premier étage le mur extérieur de mon immeuble et par la fenêtre ouverte de ma chambre, avait pu directement me rejoindre après minuit, pour que mes parents n’entendent rien.
C’était donc particulier et exaltant, je vivais une situation risquée qui pouvait mal tourner, puisqu’il était déjà quatre heures et demie du matin et qu’il fallait bien que mon beau vampire d’après minuit s’échappe avant le lever du soleil.
Je déclenchai donc jusqu’au plus profond de moi, toutes mes ressources, tous mes mécanismes de mémorisation pour pouvoir, le jour venu, me rappeler ces moments magiques et être certain de les avoir bien vécu.
Alors, tout en écoutant les premiers oiseaux qui annonçaient le jour, je caressai sa peau alors qu'il était à moitié endormi et je me disais : « Voilà, je touche sa peau, là, je remonte jusqu’à son épaule… là, ce sont ses cheveux et la moiteur de sa nuque… maintenant je sens son odeur de tabac et de miel... Je suis en train de vivre cet extraordinaire moment qui ne reviendra peut-être plus... je veux m’en souvenir au plus près, quand je serai vieux.
J’ai tant réussi ce marquage du temps, cet exil indélébile pour mon futur, qu’aujourd’hui je n’ai qu’à fermer les yeux et je revois tout, au point de croire que c’est arrivé hier… Le profil de D.M.. À contre-jour, ses cils… ses lèvres charnues, émouvantes, sa chevelure épaisse et blonde, sa voix basse et son accent suédois… ses mains.
Je retrouve intacte la pudeur de cette première rencontre de nos corps, la chaleur d’un mois d’août à Toulon, les gestes hésitants puis précis, notre souffle retenu sur les draps brûlants.
Oui, j’étais un parfait caméscope à moi tout seul… je me suis offert des DVD plein la tête qui mélange mon temps et restitue mes bonheurs.