Claquements de mains, tapes amicales sur l’épaule pour la rencontre, et tous décollent aussitôt vers un autre immeuble. Les dos sont ronds, les bonnets bas et la démarche impressionnante. Tous les sept avancent silencieusement dans l’éclairage sans fard des réverbères puissants ; la cité doit être claire, lisible, et n’effrayer personne. Elle inonde de clarté des jeunes gens qui aimeraient partager des secrets, des rires sans avoir un avant-goût du poste de police en pleine gueule. Aussi, de temps à autre, dans le silence des nuits profondes, quand dorment les télés, on entend une ampoule à décharge exploser sous des jets de pierres anonymes. Dès le lendemain, ce petit halo d’obscurité devient le centre des lumières.
Fini la cave !
– Où est son bloc ? demande Vincent.
Rachid renifle et pointe du menton un autre grand ensemble, La pépinière.
– C’est là-bas... l'immeuble Les Marjolaines.
– Les Marjolaines ? C’est joli !
– Quand tu verras ceux qui y squattent, tu trouveras qu'il aurait dû s’appeler «Cannabis ».Tout l’ensemble, d’ailleurs !
Vincent sourit, mais redevient vite sérieux. [...]
– Faut se rendre au point d’eau et boire avec les autres animaux… On f’ra gaffe aux prédateurs, c’est tout. Y aura toujours des dieux cachés pour inventer nos rêves… Des pluies tièdes pour nos blessures.
Vincent prend une grande inspiration et clôt son lyrisme à regret. Il ne veut pas engluer Thibaud dans des discours trop réfléchis ou trop éloignés de la réalité.
Pourtant… Il voudrait encore lui dire qu’il vient de comprendre que l’on s’égare vite, que notre minuscule énergie dans le cosmos n’est rien d’autre que l’énergie de la peur, et que dans la Voie lactée les questions sans réponse ne renvoient qu’un ultimatum : s’aimer !
Il voudrait lui dire ses impatiences, ses hésitations… la sagesse qu’elles lui inspirent.
Il voudrait lui dire que l’on peut avoir vingt-deux ans et envisager pourtant une vie à se nourrir d’un même corps.
Il voudrait lui dire le rien, la fascination de l’essentiel… Le sable brûlant entre les doigts, les grillons invisibles dans la nuit, les vertes lucioles qui palpitent dans les jardins profonds.
Alors, il ne dit pas tout ça, même si Thibaud lui donne des ailes.
Alors, il s’approche encore.
– Je t’aime !
Il lui a dit le tout ! [...]