Avant ces marécages si particuliers, la route aride à la maigre végétation odorante (souvent de l'armoise) réserve des surprises, comme ces deux petits ânes qui se racontent plein de belles choses...
Lorsqu'on s'approche d'eux, ils prennent la fuite et cette chorégraphie aux tons uniques permet cet inattendu cliché aux allures de dessins rupestres aussi spectaculaires que de ceux de la grotte de Lascaux.
Peu après, comme prévu, on se retrouve au centre du chott El Jerid dont les cristaux de sel à sa surface miroitent au soleil. La route qui le traverse ne va plus cesser d'être bordée de cet étrange et brillant désert.
Parfois des mirages apparaissent et persistent tant qu'ils se trouvent dans un axe précis. C'est le cas pour ceux-là (les taches noires à l'horizon, sur la gauche) ; ils disparaîtront brusquement quand la route tournera un peu sur la droite.
On approche de la dépression du Chott El Jerid ; ses reliefs offrent des points de vue splendides. Des deux côtés de la route, le sel de ce marécage asséché continue de nous accompagner et se soulève par endroits jusqu'à ressembler à de petites tentes du désert. Parfois, ce paysage un peu lunaire donne l'illusion d'être au bord de la mer (surtout s'il fait très chaud) car les mirages sont plus intenses et vous assurent d'une eau plus vraie que nature tout autour de vous.
À la fin du Chott, un peu avant la ville de Kebili, on décide de prendre une petite route sur la droite qui mène à une oasis...
Arrêt immédiat... le spectacle est prometteur.
C'est bien ce que je pensais... Un vrai décor de théâtre. Visite obligatoire pour savourer ces couleurs, ces reliefs étonnants... cette luminosité.
Jean-Charles n'en croit pas ses yeux...
Très vite, il redevient un enfant et s'amuse dans les dunes... Le sable est si beau, si fin... entre les doigts, c'est une sensation ineffable... une caresse de la nature.
Moi, je m'enferme aussitôt dans une de ces brèves méditations dont je ne sais toujours pas me défaire... Que le monde est beau ! Et si je me suicidais ici... là, tout de suite. Oui, je sais, j'ai toujours à ma disposition un lot de belles idées optimistes.
Heureusement, pour couper court à mes élucubrations, derrière les petits reliefs, se dresse une cabane faite de feuilles de palmiers ; elle propose des souvenirs, des tapis, bref, un petit commerce tout simple, mais qui doit bien fonctionner en périodes touristiques... Deux garçons d'une vingtaine d'années nous accueillent et nous offrent du thé. Ils ont l'air de s'ennuyer. "Abdoul et Ali"! Ils se nomment ainsi.
Abdoul veut que je pose avec son faucon sur le bras. Je me plie donc à la photo un peu simpliste. Je me trouve un peu bête, mais bon, il faut bien faire plaisir à ces jeunes gens et surtout à Jean-Charles qui immortalise ma contribution à la photo basique que chacun doit avoir dans ses albums ou sur son ordinateur s'il est passé par là....
À l'intérieur de la cabane, par contre, je me sens chez moi. Tout ce bazar me convient tout à fait et après avoir bu le thé, je reste longtemps assis à rêver de façon désordonnée.Nous discutons longtemps avec les garçons dont l'un deux, Ali, nous plaint d'être français. Je lui demande pourquoi, il me répond que tous les jours à la télé, il voit qu'à Paris les gens dorment sur les trottoirs dans des boîtes en carton ou bien dans de minuscules tentes, qu'il n'y a pas de travail, que ceux qui ont la chance d’en posséder un sont quand même pauvres, que les sans-abris meurent dans le froid... que les enfants sont alcooliques et frappent leurs professeurs... que nous n'avons pas le droit de fumer, de boire, etc. Et oui, et oui... on nous plaint !
On se dit enfin au revoir, on s'embrasse, on se serre dans les bras comme de vieux amis de toujours... J'achète deux bricoles et le voyage continue. On s'approche maintenant de Matmata, la végétation revient doucement..
De petites oasis apparaissent et palpitent à l'intérieur de cirques qui jalonnent la route qui serpente au fil du relief escarpé.
Le paysage devient de plus en plus étrange, proche de celui des zones volcaniques ou d'une planète imaginaire entre la Lune et Mars. Difficile à décrire. On est au bout du monde.
Bien après, dans un tournant à fleur de virage, je retrouve la maison troglodyte dans laquelle j'avais rencontré une vieille dame qui, en deux mille quatre, m'avait offert son hospitalité. Je l'avais dessinée et également peinte. Je veux lui offrir mon livre d'art qui résume l'ensemble de mes peintures « orientalistes » dans lequel, elle figure...
Hélas ! sa fille m'apprend qu'elle est morte depuis trois mois.
Je suis très triste et je lui offre le livre. Elle découvre sa mère sur deux pages et me remercie avec émotion. Nous avons tous les larmes aux yeux.
Alors, une dernière fois, pour la remercier de son accueil et de sa disponibilité à mon égard, il y a quelques années, voici ma vieille de Matamata dans la pleine lumière de juillet devant sa porte, comme autrefois, alors que de ses doigts noueux, elle mettait un peu d'ordre aux plis de sa robe, avant de poser pour moi.