Un soir de 1993, alors que j’étais chez ma mère, je pris un de ces vieux bouquins qui traînaient au salon et dans l’un d’eux je lus de biens étranges histoires sur les coutumes extravagantes de certains pays… je tombai sur le récit d’un homme qui, dans une région de l' Amérique du sud (je crois), avait épousé une femme morte. J’appris que ça se pratiquait souvent pour des raisons de succession et le prétendant de ces noces pour le moins monstrueuses, acceptait l’idée de sceller une union avec, auprès de lui, une défunte parée pour la circonstance de tous les signes du mariage, parfois dans un état proche de la décomposition et parfois même, c’était une momie. Pourtant, le cérémonial avait lieu, ainsi que la remise des alliances.
Plus tard, en 1995 je terminais le tableau ci-dessus et alors que je lui cherchais un titre, un seul vint à mon esprit : « Les mariés de février ».
J’ai par habitude d’écouter mes pulsions même si parfois leur sens m’échappe.
Je signais donc mon tableau et incrivis son titre au verso.
Une année auparavant, au matin du 14 février 1994, j’avais reçu un coup de fil de l’une de mes sœurs qui me souhaitait un bon anniversaire. Sa voix était dynamique comme à l’ordinaire, son humour bien là…
Le lendemain 15 février, son fils m’appelait pour m’annoncer sa mort.
Je ne tiens pas à étaler ma douleur et ce qui se passa dans ma tête dans les instants qui suivirent cette terrible nouvelle.
Je sais simplement que le lendemain en soirée, je prenais l’avion pour Hyères, dans une espèce d’hallucination permanente, n’entendant rien à ce que je faisais, agissant comme un automate. Deux heures et demie plus tard, je pénétrais dans la chambre où reposait ma sœur, après avoir traversé son jardin qui scintillait d'un givre hivernal. Je ne comprenais pas son silence et son immobilité... elle si drôle, si vivante. Elle était belle dans la mort comme elle l’avait été dans la vie. Elle avait 57 ans. Le temps n’avait jamais eu de prise sur ses traits, ni sur son corps.
Je demandai qu’on me laisse seul. Je m’allongeai à côté d’elle et lui prie sa main froide. Je caressai son front, ses cheveux ; je la regardai, je la regardai… puis, très naturellement j’ai ôté de mon cou la chaîne qu’elle m’avait offerte pour ma communion et je la lui passai autour du poignet. J’avais l’impression de faire un geste important, le geste d’une union…
Quelques mois après avoir terminé mon tableau, alors que j’étais une fois encore de passage chez ma mère, je fis comme toujours le tour des livres qui traînent au salon et je retombai sur celui que je viens d'évoquer. Je le feuilletai distraitement et à nouveau le mariage de ces hommes avec des mortes me sauta aux yeux. D’un seul coup, comme si je recevais une gifle, l’explication du titre de mon tableau me vint brutalement à l’esprit ; j’avais peint un homme qui tenait dans ses bras une sorte de pantin en bois avec les attributs de la mariée : le voile, les gants, la couronne de fleurs… Tous les deux portaient une alliance et sur le côté gauche, vers le bas, un petit portrait de ma sœur, dessiné grossièrement donnait la clef.
Oui, « Les mariés de février » étaient bien ceux-là ; un frère vivant, avec sa sœur morte ! L’alliance... une simple chaîne, l’union sacralisée par le tableau.
Mon inconscient avait absorbé l’histoire et l’avait restituée des années après… pour symboliser cette funeste soirée qui m'avait tant marqué.