Je ne sais pas si c’est parce que j’avais le moral dans les chaussettes, mais cette effervescence m’a paru d’une tristesse effarante. Tout le monde se jetait sur tout ce qui se mange comme si la guerre était déclarée. En plus, cette année, Leclerc n’a pas oublié de jouer la carte de l’originalité et au milieu des dindes, chapons, et autres malheureux condamnés à mort, il y avait de l’antilope pour la note exotique ; quelque chose comme la « dégustation positive » et « l’immigration choisie ».
Et si les enfants arboraient des visages radieux au milieu de ce tohu-bohu de grandes surfaces, les adultes ne cachaient pas leur amertume ou alors, ils trichaient bien. La fête n’a jamais gommé le désarroi.
Jamais je n’ai vu autant de commissures affaissées, de teint cireux, de cheveux ternes. Les bouteilles de vin s’empilaient, les bourriches d’huîtres s’entassaient, les foies gras cirrhosés des oies et des canards s’aplatissaient les uns contre les autres, mais la joie, la vraie, celle qui grandit les cœurs et les esprits m’a paru bel et bien en exil…
Il y avait dans les yeux de chacun toute l’angoissante réalité du quotidien.
Un quotidien où se mêle la peur du lendemain, la peur des délocalisations, la peur des patrons qui se tirent avec l’oseille, la peur du chômage, la peur indicible d’un danger qui nous guète, d’un danger pire que tous ceux que l’humanité a déjà encaissés… Une peur de la fin, en somme !
Pas un jour sans catastrophe, pas un jour sans menace, pas un jour sans une nouvelle loi qui mutile un peu plus notre liberté et nos rêves.
Pour bien accentuer ma descente aux enfers, les caissières et les vendeurs étaient affublés d’un malheureux chapeau de père Noël dont la boule en coton au bout de la pointe rouge battait sur leur joue sans couleur, comme une vieille persienne sur un mur désolé ; un chapeau de père Noël pour bien insister sur la fête obligatoire.
Je connais ces caissières, certaines sont même devenues de vraies copines avec le temps et je peux assurer qu’elles se seraient bien passées – en plus d’être mal payées – d’être ridicule.
On doit faire rire avec les pauvres !
Pour tenter d’adoucir ma vision, je me suis borné dans la file d’attente aux caisses, à regarder une fois de plus les enfants pour qui la fête existe encore et qui croient que le père noël est riche, puisque grâce à Leclerc qui donne « le pouvoir d’achat »… papa et maman peuvent « acheter les jouets en décembre et les régler en janvier »…
Elle est pas belle la vie ?…
J’avais décidé de vous amuser avec Noël, mais ce soir, Noël me fait gerber.
Bon réveillon à tous… quand même !
En fête… seules les dindes sont heureuses, assurées d’être fourrées !