... /...I l y avait les promenades qui n’en finissaient pas. Une véritable migration. Tout était prétexte à retarder l’heure du coucher jusqu'à l'épuisement pour retrouver le lit dans un semblant de fraîcheur nocturne ; restaient les moustique, ça c'est une autre histoire !
– Non ! Et de qui ?
– De son mari ! De qui tu veux qu’elle tombe enceinte, moche comme elle est ?
Et le groupe des femmes repartait en riant jusqu’à la prochaine halte où, certains soirs, était encore évoqué la fin tragique d'une voisine – la malheureuse madame B. retrouvée morte empalée sur son balai – qui continuait d’agiter les mémoires. Cependant aucune suspicion, autour de sa mort ; elle était tout simplement tombée de son escabeau alors qu’elle nettoyait les carreaux de sa fenêtre et dans sa chute, elle avait fait connaissance avec le manche de son balai "mal placé "à deux pas.
Chaque fois que ce drame était évoqué en famille (inutile de préciser qu’il avait fait le tour de la ville), j’avais la chair de poule, mais dans le même temps, tandis que la promenade reprenait, j’imaginais madame B, infortunée sorcière avec son balai dans le cul, en train de survoler les maisons, et je ne pouvais m’empêcher de sourire.
Parfois on parlait de superstitions et là, c’était moi qui tremblais, et je restais collé à la jupe de maman et au pantalon de papa. Deux de ces superstitions me préoccupaient au plus haut point. La première qui affirmait que lorsqu’un chien aboyait à la mort, quelqu’un passait de vie à trépas dans le périmètre où on l’avait entendu. Du coup, au moindre aboiement dans mon secteur, je commençais à prier fiévreusement et supplier Dieu d’épargner mes parents et d’attendre que je sois majeur avant de me faire connaître un tel drame. Le petit kiosque à musique où des fanfares un peu désuettes jouaient le dimanche et les jours de fêtes.
La deuxième enfin, qui assurait que dans les cimetières, quand on fauchait les perles de verre des couronnes mortuaires, on était battu toute la nuit par les morts qui se vengeaient. D'ailleurs, on avait découverts des enfants couverts de bleus au petit matin !
J’étais fou de ces perles violettes ou crèmes, noires ou bleues, mais plutôt mourir que d’en arracher une seule !
En dehors de ces petits écueils, ces errances sur les boulevards, dans les jardins publics et jusque dans les sentiers loin du centre, étaient savoureuses et avaient l’avantage de nous fatiguer avant d’affronter ce sommeil difficile à apprivoiser.
La petite place devant le marché... les mêmes bancs, les mêmes réunions amicales... alors je fais le malin et je prends la pause, comme si rien ne s'était arrêté.