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Le blog de Michel Giliberti

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mon actualite


Je n'assisterai malheureusement pas à ces toutes dernières représentations du Centième nom mais,
pour les acteurs et toute l'équipe du théâtre L'oeil - La Lucarne qui le mérite tellement, soyez au rendez-vous...






Une fois encore, je remercie Jean Pierre Terracol, qui manifesta si vite l'envie de mettre en scène cette pièce, elle-même écrite dans la plus grande des urgences.
Et puis à toi, Ahmed Alami,
Et puis à toi, Lionel Heches,
Vous qui avez endossé ces rôles difficiles, vous qui êtes devenus Jihad et David, je vous serre dans mes bras et vous embrasse avec tout l'amour que je vous porte.

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Décrire mon bonheur sera chose difficile, je suis plus apte à exprimer mes états d’âme quand ils se parent de mélancolie.
Pourtant, il me faut bien parler de bonheur pour décrire la soirée du 21 juin au théâtre de La lucarne où le solstice d’été et la fête de la musique s’ajoutèrent à la dernière du « centième nom ».

Bordeaux vivait la chaleur et dans la moiteur de la ville il y avait quelque chose d’un roman d’Hemingway…  
La salle était pleine, les acteurs Ahmed Alimi et Lionel Hesches donnèrent tant d’eux-mêmes. Jean-Pierre Terracaol le metteur en scène sut rendre festive la fin de ce spectacle pourtant tragique… Aussi, je n’ai pas les mots pour remercier toute l’équipe de ce « modeste et génial » théâtre pour reprendre la formule de Daniel Mermet à propos de son émission « Là-bas si j’y suis » sur France Inter.
Merci Jean-Pierre, j’espère que notre collaboration continuera à porter ses fruits.
Merci à toi Ahmed, avec qui j’ai partagé des confessions et de tendres et amicales inquiétudes.
Merci à toi Lionel, bientôt papa d’un Roméo dont la maman épanouie et heureuse est aussi belle que ton sourire.
Merci à toute l’équipe pour le souffle que vous avez installé dans ma poitrine.
Merci à Maryse, portraitiste de la poétique des fleurs qui s’est déplacée deux fois et pour qui j’éprouve une douce amitié, merci à Mel qui m’a permis de mettre un visage sur ses magnifiques apophyses.
La vie réserve bien des surprises et cette aventure théâtrale
restera, à tous les coups,  une de mes plus belles.






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Comme promis, voici un petit diaporama du Centième nom. Je remercie le photographe Richard Zeboulon de m'avoir envoyé ces photos prises en direct lors de la première.



Je souhaite bonne chance et belle continuité à Ahmed Alimi et à Lionel Heches, et je remercie une fois de plus toute l'équipe qui a su mettre en lumière, en musique et en décors ce petit bout de moi qui me tenait à coeur et que Jean-Pierre Terracol, le metteur en scène, a su si bien traduire.





















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Je suis de retour de Bordeaux.
La gentillesse de ses habitants m’a séduit tout comme la grandiose beauté de son incomparable architecture.
J’ai passé là-bas de bien délicieux moments et de belles émotions en compagnie de tous ceux qui ont permis à ma pièce de se jouer.
Émotions toujours quand j’ai rencontré Maryse que je ne connaissais que par les fleurs et les poésies de son blog et par nos mots et mails échangés, émotion d'un bouquet de roses envoyé par Mel.
Le thème de la pièce a interpellé les spectateurs. Le jeu des acteurs, le décor, la mise en scène la musique ont séduit tout le monde. Qu’avais-je à demander de plus ?
C’est donc à regret que j’ai quitté l’équipe tout entière du Théâtre La lucarne qui m’a permis de vivre ces beaux et forts moments d’amitié. Je reviendrai certainement à Bordeaux pour la dernière représentation le 21 juin.

Dès que je récupérerai des photos de ce spectacle (je n'en ai pris aucune personnellement) , je tenterai d’en faire un petit diaporama.






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Omar Faruk Tekbilek / One truth (1999) / I Love You


     Encore un peu de mon actualité... après promis, je m'arrête.
Je serai sur place à Bordeaux pour asister à la Première, ainsi qu'à la réprésentaion du lendemain soir. Entre temps les vins de Bordeaux auront toute ma gratitude...

Photo / Richard Zeboulon

U
n soir de grande chaleur, quelque part en Israël...

Deux garçons du même âge se rencontrent par hasard. Chacun est réfugié dans sa douleur quotidienne, son errance et sa peur du lendemain.
L'un est Palestinien, l'autre Israélien.
Tout ce qui les différencie, tout ce qui les oppose est prétexte à nouer un dialogue imprévu, parfois dur, parfois tendre, à la lisière de la détresse, mais toujours proche de la concorde, de l'amitié des hommes... du désir.
Une trève pour l'intégration.
Un répit dans la fatalité.

Voici quelques photos du spectacle aux dernières répétitions... Bonne chance à toi, Ahmed Alami, bonne chance à toi, Lionel Heches et bonne chance à toi, Jean-Pierre Terracol et tous mes remerciements.


Jehad, le Paslestinien


Jehad sur les lieux où son jeune frère a été tué.

Jehad et David, l'Israélien... la rencontre.


Jehad et David... La réconciliation ?

Extrait:

David.
... tu vois nos dirigeants n'ont pas su nous unir dans la joie, mais ils auront bien su nous balancer la même peine... la même poussière à avaler... la même douleur dans nos regards. Nous sommes des victimes... Le monde est fait de victimes ou d'esclaves, comme tu veux... Nous sommes tellement manipulés.
Jihad .
Dommage que tu ne sois pas mon frère.
David.
Mais, je le suis Jihad... en tout cas, nous l'avons été... Nous sommes un...
© éditions Bonobo / 2003


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Un peu d’eau pour la soif,
Un peu d’eau pour laver…

Je remercie tous ceux qui sont venus à mon vernissage et plus particulièrement Joëlle, Laurent, François, Selim parce qu’ils représentent des amitiés nées du blog.
Je trouve ça étonnant et rassurant ; le net n’est donc pas une simple toile, un simple piège virtuel.
Les commentaires ont une âme et un visage et hier soir j’en ai eu une belle preuve.
D’autres amis blogueurs seraient bien venus, mais hélas la France est grande et les rencontres ne peuvent pas toujours aboutir.

Un peu d’eau pour la soif,
Un peu d’eau pour laver…

J’ignore dans le fond pourquoi je parle de l’eau pour évoquer hier soir ; et bien, je laisserai l’eau couler et je la laisserai laver pour devoir tout recommencer.
Merci à vous tous, du fond du coeur…

Et quand l'eau est donnée avec ce sourire...

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Pendant des années, alors que nous nous appartenions par les mots, entre deux séances de pose mes amis se sont laissé capter, abandonnés, détendus.
De ces instants si particuliers, j’ai gardé des milliers de photos, des traces argentiques débarrassées de toute sophistication.
Ces clichés m’ont brusquement donné l’envie de réaliser un travail inspiré par une note ensanglantée qui déjà dans mes peintures signait mes blessures.
Alors, dans une presque hémorragie des souvenirs est née une œuvre associée à ma phobie de la violence, une œuvre qui commerce avec ma poésie… une hémographie des désordres.



Vernissage Peinture et photos / Art Galerie Benchaieb
29 Mai à partir de 18 heures
64 rue Mazarine 75006 Paris. Tel 01 56 81 03 30
http://www.galeriebenchaieb.com

*
Les éditions Bonobo présentent à cette occasion mon livre de photos et de poésies "Hémographie des désordres". (Lire la quatrième de couverture de l'éditeur dans l'album "Bibliographie").

Une photo-collection à tirage limité, intitulée : « Ateliers Secrets » est éditée par Arts Galerie Benchaieb et déclinée en quatre portfolios :
— Blessures personnelles
— Promesses d'Orient 
— Profils intimes
— Fragments

Elle regroupe une partie des photos originales du livre ainsi que des photos inédites.

*
Quelques photos extraites d' hémographie des désordres /Bonobo






Merci à mes modèles qui, dans ce livre, sont presque tous réunis.

*


Dans la foulée je vous annonce la sortie en juin de mon nouveau roman,
"lapeaudumonde.com".
 
*





Extrait du livre


... Il commençait à se réveiller.
Il  angoissa à l’idée que s’opérerait bientôt sa transformation ; viendrait le jour où il n’aurait plus de répit, le jour où cet appétit morbide ne se contenterait plus de le visiter en soirée, le jour où sa peau souffrirait en permanence à épouser la tragédie du monde.
Cette hypothèse lui rappela que Nico lui avait conseillé de changer de pseudo pour son blog et sa désespérance nouvelle lui en souffla un :
« La peau du monde ».
Oui, sa peau ne refléterait que la souffrance du monde.
Il parut libéré, comme si nommer son mal, le cautionnait enfin.
« La peau du monde ».
Oui, sa peau absorberait toute la souffrance des hommes… mais pourquoi ?

www.edtions.bonobo.com

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Je n’ai pas eu le courage de me consacrer au blog ces derniers temps.

Entre un travail excessif et le moral un peu en berne, j’avais là quelques raisons suffisantes.

Pendant tout ce temps, j’ai dû mettre sur pied ma prochaine exposition (peintures et photos), terminer les corrections de mon dernier roman et suivre toute la mise en pages d’un livre consacré à mes photos et poésies (merci à mon éditeur pour sa patience), le tout devant être bouclé avant le 29 mai, date de mon vernissage à la galerie Benchaieb, à Paris, où l’ensemble de ce travail sera présenté.

Même si « travailler plus pour gagner plus » (harangue ô combien détestable de notre cher président) est dans l’air du temps, moi qui rêve de tout arrêter enfin et prendre de la distance avec ce qui use, je vous le dis, cette phrase est la plus stupide que je connaisse.

À mon sens, nous sommes faits pour jouir de la vie sans la perdre à la gagner ! Le moral se retrouve dans les choses vraies... celles qui n'ont aucune valeur marchande : l’observation, l'écoute de l'autre, l'écoute de la nature.

Bref, histoire de renouer nos échanges, je viens par ici, errer dans le noir de ce blog, un peu comme j'entrais dans les trains fantômes de mon enfance, mais là, les fantômes sont les miens et j’en connais toutes les ficelles.

Bientôt je posterai la couverture du livre de photos et celle du roman.

Je parlerai aussi de ma pièce de théâtre « Le centième nom » qui se jouera à partir du 5 juin au théâtre La Lucarne, à Bordeaux et qui me transporte de joie.

Je vous parlerai plus précisément de Jean-Pierre Terracol, le metteur en scène, des acteurs, Ahmed Alami et Lionel Heches, mais je m’appliquerai à le faire, dès que je pourrai réellement souffler et trouver les mots pour le dire. Si je n’en parle pas moi-même, qui en parlerait n’est-ce pas ?

Je reviens bien vite… à bientôt.

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st-michel-et-la-dragone.jpg
J
e n’allais tout de même pas laisser passer ma fête sans un cadeau.
Alors, voilà… Je m'offre mon "Saint Michel terrassant le dragon", un thème souvent traité par les artistes...
La plupart d'entre eux l'ont représenté se battant contre des dragons extraordinaires, parfois démesurés, mi-homme mi-bête, à l'image du mal (le Diable).
Cette version manichéenne ne convenait pas à ce que je cherchais à peindre.
Je voulais juste donner un sens ludique à cette lutte en faisant du dragon un petit être qui nargue gentiment un garçon pas du tout effrayé et à qui il semble plus venir à l'idée de le chasser comme un moustique, que de le terrasser.
Pourquoi ai-je féminisé mon dragon en l'appelant dragone...? Je laisse le soin à chacun de se livrer à cette réflexion... mais quand on sait combien la femme mène les hommes par le bout du nez ou du reste...


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De ma pièce de théâtre dont je parle souvent, « Le centième nom », j'ai tiré un roman « Jihad » dont voici les toutes premières pages... Un soir de grande chaleur en Palestine, Jihad retourne sur les lieux où son jeune frère a été assassiné... Peu de temps après, alors qu'il confie à Dieu son besoin de vengeance, il est surpris par David qui passait par là, lui-même tout à sa détresse depuis la mort de ses parents dans un attentat.
Le face à face entre le jeune Palestinien et l'Israélien donnera lieu tout au long de la nuit à une confrontation dramatique qui révélera la souffrance de chacun.

salim-jihad-11.jpgSalim Kéchiouche, magnifique Jihad dans la version théatrale et pourquoi pas un jour dans une adaption au cinéma ?

   Jihad ralentit le pas.
    Son souffle est court.
    Ses yeux habitués à la faible lumière de la ville balaient de toute part la place déserte à cette heure-ci de la nuit.
Il la traverse rapidement, évite de se prendre le pied dans les ornières du bitume défoncé par les chars et les obus.
Plus que quelques mètres.
    Son cœur bondit dans sa poitrine.
    Voilà. Il y est.
    Rien n’a changé.
   Les ruines de la grande maison se dressent toujours vers l’étoile que la Lune met dans sa parenthèse étincelante, sous un ciel si noir qu’il masque l’au-delà. Un ciel qui détruit tous les rêves.
    Non, rien n’a changé.
   Le porche à moitié effondré, l’entrée béante et noire comme la mort, la porte bleue qui agonise, pendue à un seul gond, à quelques mètres de l’olivier centenaire étonnamment vivant.
   Jihad essaie de rester calme, pourtant ses mains tremblent. Il cherche fébrilement ses cigarettes au fond de sa poche, en extirpe la dernière du paquet tout écrasé, l’accroche à ses lèvres sèches, l’allume et replace l’étui vide dans sa poche, par habitude. Par indigence… tout peut servir.
    Il ferme les yeux un instant et se concentre sur ce petit plaisir de la cigarette dont le bout incandescent pulse au rythme de ses inspirations. Ces bouffées âcres de tabac au fond de la gorge, cette brûlure accoutumée, ce souffle chaud dans ses poumons.
    Ce souffle qui le distrait de sa torpeur.
    Ce souffle qui l’empoisonne.
    Ce souffle qui tous les jours le fait vivre et supporter la nuit qui lui balance sa nouvelle blessure.
    L’air embaume des exhalaisons de toutes les fleurs qui se répondent en nocturne.
    À l’abri de ses paupières closes, il pourrait s’imaginer un été ordinaire, un soir ordinaire dans un pays ordinaire.
    Mais non. Impossible! Sa mémoire meurtrie ne côtoie plus ce rêve.
   Il entend seulement les grillons qui se défient de sa présence en lui faisant croire qu’ils sont là, tout près, mais ailleurs aussi, petites taches de bruit sur l’immense abstraction de la nuit.

    Lui qui ne s’en est jamais préoccupé. Il se surprend à les écouter,  il les écoute comme on écoute le tic-tac d’un réveil dans le silence des chambres quand le sommeil vous fuit.
    Il rouvre ses yeux et sous les sourcils drus, ses sombres prunelles retrouvent la réalité.
   Une réalité d’éboulis de pierres et de briques qui jonchent le sol poussiéreux près du porche. Un lieu à son image, misérable et sec.
    Il enfouit la main dans sa chevelure épaisse et se masse le crâne, comme pour reprendre ses esprits.
    C’est là.
    Il tire une bouffée, très longue, qu’il ne rejette presque pas.
    C’est là.
    C’est là que Jamel, son petit frère, est tombé sous les balles de l’ennemi, il y a deux semaines.
    C’est là que son petit corps fragile, tragiquement secoué à chaque rafale, comme un pantin de chiffon, s’est effondré dans ses bras.
    Lui, Jihad, n’avait rien compris.
   Il avait tout d’abord eu peur, peur des signes annonciateurs, d’une certaine agitation dans l’air. Les gens pressaient le pas, certains se bousculaient, comme des animaux devant un danger immédiat et puis surtout, il y avait eu le bruit du camion qui approchait.
   Jihad avait accéléré sa marche en entraînant son frère dans son sillage pour rentrer au plus vite à la maison. Rien pourtant n’affirmait que le malheur rodait, mais chaque promeneur, blessé dans ses souvenirs ou dans sa chair, l’avait pressenti.
    Après, tout s’était passé si vite. Jihad avait été abasourdi par le fracas des armes qui déchiraient ses tympans et la poussière jaune qui l’étouffait. Poussière épaisse que les roues du véhicule militaire soulevaient et projetaient de toute part comme un insecticide.
    Cette violence n’avait duré que quelques secondes, mais Jihad ne parvenait pas à refaire surface.
    C’est le sang qui l’avait sorti de son inertie.
    Partout il se répandait.
    Rouge et chaud.
    Sur son tee-shirt, sur ses mains, sur la terre desséchée qui le buvait, l’aspirait, avide, comme un vampire.
   Les balles avaient traversé le petit corps de Jamel et le choc si violemment répercuté contre son propre ventre lui avait fait croire qu’il était lui-même la victime.
    Les passants s’étaient éparpillés en hurlant et en criant à la première rafale.
    Il faisait très chaud ce matin-là. Ça sentait la sueur, le crottin, l’huile frite, le sang et la poudre.
   Quelques femmes imploraient encore Allah en tenant leur voile contre la bouche, et les hommes menaçaient l’ennemi disparu avec des gestes vengeurs, et en peu de temps, Jihad s’était retrouvé seul, assis, Jamel dans les bras.
    Pas âme qui vive.
    Le silence avait trouvé le lieu pour installer ses questions sur l’horreur.
    Mais Jihad ne s’en posa pas !
    Et quand il comprit que son frère était mort, le ciel chauffé à blanc demeura longtemps son seul repère, et doucement il se dit qu’il fallait bien faire quelque chose.
    Il se sentait écrasé de solitude et de désespoir. Sa gorge sèche semblait avoir avalé tout le sable du désert.Salim-jihad-2.jpg
   Il posa enfin ses yeux fiévreux sur le visage de ce frère qui gardait les siens grands ouverts sur le soleil impitoyable, sa tête chancelante comme celles des petits oiseaux qu’il capturait sur la colline pendait tristement en arrière.
  Pendant de longues minutes, Jihad continua à se dire qu’il fallait bien bouger, mais aucun de ses membres n’osait le moindre mouvement.
    Pourtant, des enfants, il en avait vu mourir. Souvent. Trop. Il y avait eu d’abord Mourad, son petit copain, Talal, Rachid, Nouran, ses voisins, et puis tant d’autres, il ne les comptait plus. Mais Jamel… Comment annoncer ce drame à ses parents ? Sa mère ne survivrait pas à ce choc.
    Au sud, le vent s’était levé.
   Il emportait avec lui des papiers et des détritus de toutes sortes qui brouillaient sa vue et donnaient l’impression d’un indécent carnaval privé de musiques et de rires.
   Jihad, hagard, regardait ses pauvres baskets usés et recouvertes de terre. Ses belles mains marbrées de veines et maculées de sang, ses belles mains abîmées par tant de petits travaux minables, tenaient serré contre sa poitrine, le corps fragile de Jamel. Il sentait la sueur couler le long de sa nuque. Elle glissait aussi sur la poussière de ses joues et formait des rigoles ambrées et brillantes.
    Il était dans une autre dimension.
    Épuisé.
    Effondré.
    Désemparé.
  Rien autour de lui n’était susceptible de le réconforter. La ville entière vivait le même drame et se repliait sur elle-même.
    Il avait tenté une fois encore de questionner le ciel pour partager sa douleur avec son Dieu.
    Il l’attendait.
    Il l’espérait.
    Lui seul, lui redonnerait un peu de son courage habituel.

    Jihad scrute l’obscurité à peine traversée de la faible lumière d’un vieux réverbère encore intact, pas très loin. Parfois des déflagrations zèbrent l’horizon d’éclairs bleus. Ce pourrait être une de ces fêtes qu’il voit à la télévision, quand le ciel, en Europe, s’illumine de feux d’artifice.
    L’Europe… Il n’arrive pas à croire qu’il y a là-bas des pays où les gens marchent, mangent, s’aiment et s’amusent en paix et que dans ces lieux privilégiés, naissent des grèves, des signes de mauvaise humeur et même qu’on s’y révolte. Il ne comprend pas. Il ne peut pas. C’est surréaliste.
    Sa cigarette est déjà consumée. Il la jette au loin, puis s’approche encore.
    Doucement, avec résignation, il s’accroupit au sol et se couche sur le flanc comme un animal blessé. Il caresse le sol à l’endroit même où Jamel est mort puis il triture cette terre jusqu’à s’en emplir les ongles.
    « Mon Dieu, je suis là, murmure-t-il au bout de quelques instants, je sais que tu me vois. Je sais que tu m’entends. Moi, j’entends seulement le bruit des armes et mon ventre qui gargouille. Ce soir pourtant, j’entends aussi les grillons… Je ne me suis jamais intéressé aux grillons. J’ai vingt-deux ans, et je t’assure, c’est la première fois que je les écoute. »
    II s’arrête un moment, ému par sa propre voix dans le silence de la nuit. Il n’a pas l’habitude de parler seul, de s’entendre parler, et ses prières, d’ordinaire, sont muettes.
    Il tente de se redresser sur un coude, renonce, et en chien de fusil toujours à même le sol, il poursuit sa confession appliquée devant son Dieu.
    On croirait qu’il dort.
    « Depuis quelques jours, j’essaie de tout capter, ça fait si longtemps que je suis sourd. Je me suis habitué à ne plus rien entendre… Sauf mon cœur quand j’ai la trouille, et j’ai eu si souvent la trouille. Je crois que j’ai cessé de l’avoir quand Jamel est mort. Mon Dieu, je t’ai imploré le courage ce jour-là… je l’ai attendu… attendu, en vain. Alors, je me suis redressé comme un automate, le dos contre ce mur et j’ai gardé Jamel dans mes bras… si petit, si léger. Pendant des heures, je pense. Je ne voulais plus rentrer à la maison. J’étais certain que ma mère en mourrait… que mon père deviendrait fou. Quand on n’a rien et qu’on vous enlève tout ».
Jihad fait un nouvel effort, se redresse un peu et d’un geste de la main essuie rageusement les larmes sur ses joues. Il se met à genoux avec difficulté.
    « Mon Dieu… Tu ne m’as pas envoyé le courage… seulement l’indifférence. Je ne savais plus si j’étais vivant ou mort. Je regardais dans le vide en tenant les petits doigts de mon frère pour les réchauffer, mais ils sont devenus froids… doucement. Moi-même, j’avais froid jusque dans les os. Je me suis relevé. J’ai pris la direction de la maison. Au fur et à mesure que je marchais, mon indifférence se transformait en haine, malgré la fatigue… Mon Dieu, j’étais si fatigué… Mes pas étaient si lourds. Je marchais comme un vieux. Arrivé à la maison, j’avais cent ans. J’ai posé Jamel sur le tapis comme un vulgaire paquet. Il y a eu un grand silence. C’est rare à la maison. Le visage de ma mère s’est pétrifié. Il était sculpté dans le marbre… Une vraie statue… les statues ne comprennent rien. Elle n’a plus jamais rien compris. Mon père, lui n’a pas résisté à la vue de Jamel ensanglanté, comme ça, sur le tapis et moi devant, indifférent et couvert de sang. Cela devait être terrible…Sa tête fière n’a pas bronché, seule sa barbe blanche a frémi, ses yeux noirs se sont enfoncés davantage dans leurs orbites. Ce fut son dernier signe de vie ».
    Jihad soupire. Il se sent pitoyable. Comment peut-on en arriver là ? Une fois encore, il tente de lire dans le ciel un message, d’entendre un écho à sa voix, puis au bout de quelques instants, son monologue repart de la même voix éteinte.
    « Papa… toi qui n’hésitais pas à me battre quand je désobéissais, toi qui me faisais tellement peur, malgré ta vieillesse, ce soir-là, j’ai compris que t’avais un cœur… Un cœur bien fragile ».
    Jihad se tait un long moment.
   Dans sa tête, il revoit l’enterrement précipité de son père et de son frère. Tous ceux de son quartier qui, avec lui, avaient soulevé à pleins bras les deux cercueils fabriqués à la hâte et les avaient amenés jusqu’au cimetière dans une cohue, un brouhaha indescriptible de cris et de larmes.
    Il revoit la photo de Jamel, brandie comme un étendard tout au long de la procession. Il revoit son sourire d’enfant, son regard malicieux figé au-dessus de la mêlée qui se bousculait et amplifiait sa douleur.
    Au centre du cortège, la fumée des drapeaux israéliens que des groupes d’exaltés avaient incendiés brûlait la gorge et piquait les yeux.
    Et toujours la poussière.
   La poussière de la terre si sèche, la terre de Palestine. Un chien aboie au loin, ça le rassure un peu et il revient s’asseoir à l’endroit exact où il se trouvait.
    Sa poussière.
    Comme un écran qui filtre l’horreur et masque l’indicible.
   Jihad soupire et va pour reprendre sa prière, quand un petit bruit sec, comme une branche d’arbre qui se rompt claque dans la nuit, à quelques pas de lui.
    Il s’immobilise sur-le-champ, puis très vite se lève et se précipite à l’abri d’un pan de mur, près de l’olivier.
    Il attend comme ça, haletant, deux ou trois minutes.
    Rien.
    Il attend quand même, prudent, mais les grillons, la chaleur et les parfums redonnent un sens à la nuit et endorment les siens.
    Un chien aboie au loin, ça le rassure un peu et il revient s’asseoir à l’endroit exact où il se trouvait....
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