À ce moment de l'histoire, l'assassin, dans un état de délabrement intense entre l'alcool ingurgité et l'angoisse, devant son acte ignoble, commence à ne plus tout à fait distinguer le rêve de la rélaité et ne contrôle plus ses pulsions.
.../... Quelle sensation éprouve-t-on à embrasser un mort ? Une lueur de lucidité colle un sens interdit incandescent au fond de mon cerveau ramolli, mais la folie et l’alcool me donnent tous les feux verts.
N’est-ce après tout que la perversité qui me torture ou le fait que ce corps inerte soit encore pour quelques heures celui de l’homme que j’ai aimé ? Si ma bouche effleurait son front, on trouverait ça normal. Un simple geste d’affection. Mais non, moi, je veux sa langue contre la mienne. C’est horrible !… Comme pour la pizza que je lui enfoncée dans la gueule… Ça revient… Je me dégoûte… Mais qui est en mesure de me juger, bordel de merde ? À part moi-même… Je m’approche à nouveau… Près… si près. Je dois rêver. Il n’y a plus aucune possibilité de contenir mes gestes. Inexorablement, mes lèvres se rapprochent des siennes… Voilà, je force ses mâchoires à s’entrouvrir et ma langue explore le goût de la mort.
Je reste immobile.
Je crispe les paupières dans l’attente d'une engueulade de sa part, comme chaque fois que je commettais une bêtise, mais rien ne vient.
Il n’y a plus que de moi dont je doive avoir peur.
Alors, pour me prouver que je suis maître de la situation, je replonge ma langue dans sa bouche sans vie et ce délice sans nom fait bouillonner le sang dans mes veines et gangrène ma raison au point que je l’embrasse avec fougue et ardeur. L’approche est extraordinaire… Sa salive froide a des relents de paradis obscurs et, sous l’encre de mes paupières, des flashs de lumière m’éblouissent. Je suis ignoble et je m’en moque car là, se trouvent mes seuls actes de bravoure.
Enfin, je me relève péniblement et plante mon front contre la vitre. Dehors, les piétons, les voitures… Paris ! Tout me paraît beaucoup plus mort que dans cette pièce. Je n’ai jamais vécu aussi intensément, jamais autant vibré. Thomas ! J’ai l’impression de naître, et je passe un doigt fébrile sur mes lèvres qui viennent de vivre quelque chose d’exceptionnel.../...