Depuis le patio d’un ami, depuis la craie de ses murs, je tente de synthétiser les raisons qui font que mes heures tunisiennes ne me permettent pas d’aller rêver plus loin.
Ce n’est pas le confort, ce n’est pas la béatitude, encore moins une extase stérile de ma part : je suis beaucoup trop critique en tout.
C’est peut-être l’impression de rassembler certaines choses au fond de moi, un peu comme je le ferais avec les pièces d’un puzzle. Chaque coin du monde déploie ses charmes, ses paradoxes, ses évidences afin de vous séduire, mais, comme en amour où telle personne et non une autre vous fait battre le cœur, la Tunisie fait palpiter le mien.
C’est peut-être aussi les discussions à n’en plus finir devant un café trop fort qui refroidit dans l’air saturé de l’odeur des tabacs de cigarettes et chichas mélangés. Le sourire complice d’un vieil homme, celui plus discret d’une femme, ce « Salem » formulé au hasard d’une rue. Oui, ici, on se dit bonjour quand on se croise et souvent, alors que vous pensez être seul, quelqu’un vous observe. L’ambiguïté habite son regard et ça aussi, c’est tout le sel de ce pays.
Tant de ruelles m’ont ouvert des boulevards d’émotion, tant de boulevards des impasses d’inquiétudes, là, où le mauvais œil auquel je ne crois pas se niche dans la prunelle des envieux, aux dires de ceux qui s’angoissent de mes audaces à braver l’inconnu.
Tant de ces portes basses entrebâillées sur mon passage ne m’ont jamais fait craindre de les franchir et, à l’ombre des demeures, le partage des fous rires ou du froid des secrets autour d’un repas m’a conforté d’avoir toujours écouté mon instinct.
C’est peut-être alors le linge qui claque au vent des terrasses chauffées à blanc, les senteurs du jasmin en soirée, ses fleurs accrochées à l’oreille des garçons, le galant de nuit qui vous abrutit de son si lourd parfum. Le sel sur la peau au retour de la plage et la sieste féconde après la citronnade.
C’est peut-être, qui sait, ces musiques lancinantes en nocturne, la voix rauque des hommes assis sur les marches des maisons, le bruit mat du ballon d’un enfant qui agace votre sensibilité chaque fois qu’il percute le mur ; le chien qui vous réveille, la mouche mourante qui grésille sur le tapis, la gargoulette qui transpire dans la pénombre.
C’est peut-être, bien sûr, les rencontres imprévues, les passions constructives, et celles, inutiles.
C’est sans doute, tout cela, mais sans doute, autre chose ! Vraisemblablement mon enfance n’a cessé de circuler dans mes veines, précise comme un GPS et me fait encore m’émerveiller du feu des grenades à la pourpre du raisin, des sonores pastèques à la figue sanglante.
À n’en pas douter, j’aurais pu confier, comme je le fis récemment au cours d’une brève interview, que la Tunisie était pour moi une musique intérieure… oui, en fait, ces quelques mots suffisaient, mais je suis une pipelette, alors je m’étale !
Pour finir, c’est la mine de plomb sur la feuille du carnet, les croquis qui s’invitent et bien sûr votre regard, le vôtre ! Votre bouche, la vôtre ! Votre esprit, le vôtre !
L’aparté dans le temps qui me reste.
MG