Quand je pousse la porte et que je rentre chez toi, c’est toujours la même pénombre verte qui m’accueille avant de retrouver la clarté de la cour, toujours la même odeur, celle de la cuisine de ta mère, toujours la même ivresse .
Puis il y a ton petit frère Adnen qui se jette dans mes jambes avec son sourire inimaginable et qui ne parle pas encore français ; trop jeune. Il sait dire « Bonjour » et je lui demande :« La bess ? » (ça va ?) et il me répond : « El-hemdoul-el-lah ! » (Grâce à Dieu ).
C’est ta sœur ensuite, avec ses yeux de sureau, sa bouche brillante, ses cheveux en cascade sur ses épaules et l'or de ses bracelets sur sa peau abricot.
Ta mère tarde encore quelques instants ; elle vient enfin jusqu’à moi en s’essuyant les mains dans un torchon et en baissant les yeux comme si elle s’excusait de quelque chose ou comme si elle doutait de son physique, alors que tous les hommes se retournent sur son passage quand elle fait les courses au souk de la Marsa.
Et puis au bout de quelques minutes de bavardage Adnen retourne à ses jeux d’enfant, ta mère retourne à sa cuisine, ta sœur s’éclipse avec son téléphone portable et je reste là, au milieu de la cour alors qu’on m’invite à rentrer. Mais je refuse toujours.
Je préfère m’asseoir sous le figuier et attendre…
Attendre…
T’attendre, plus exactement.
Tu aimes te faire désirer. Tu arrives enfin et tu t’assois pour fumer une cigarette en silence tout en en faisant la gueule. Normal ! Tu fais toujours la gueule dans les premières minutes... et quand je te demande pourquoi, tu me regardes comme si tu jouais dans un western et en me lançant un : « Wallah ! tu es fou, je fais pas la gueule. » (Tu n’as pas tort, je suis fou.) Pour le reste, je ne suis pas dupe, je sais bien que tu fais la gueule parce que ça te va et que ça inquiète tout le monde…
... mais une fois dans la voiture, dès que les portes ont claqué, que 2PAC est installé dans le lecteur et que les enceintes déchirent nos oreilles, tu retrouves tes vingt ans, ton sourire et les mots de ton âge qui m’éclatent.
Le soir, quand je te ramène chez toi et qu’en descendant de la voiture, tu reprends ton petit air de macho, je ris intérieurement… Il faut bien que ta sœur et ta mère soient un peu inquiètes.
Pour un fils aîné… c’est bien le minimum !
Allez, mon frère, je reviendrai un de ces jours et on ira prendre un thé au Marsaoui, mais avant je te regarderai encore faire la gueule… rien que "pour le plaisir des yeux" comme disent les tunisiens.